“Tron”, sur Disney+ : ce film culte qui avait tout anticipé, y compris l’IA

July 09, 2023
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À sa sortie en 1982, cet ovni SF produit par Disney n’a pas eu le succès espéré. Plus de quarante ans après, on découvre à quel point ce long métrage de Steven Lisberger était en avance sur son temps. Décryptage.

« Tron », 1982, de Steven Lisberger : un concepteur de jeux vidéo dématérialisé à l’intérieur d‘un système informatique doit réussir des jeux d’arcades pour retrouver ça liberté. Courtesy Disney

Par Marion Michel Partage

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Un programme informatique autonome qui projette de faire tomber le Pentagone et le Kremlin. Des milliers de personnes réunies dans une région virtuelle pour s’y trémousser devant un concert d’Aya Nakamura. Tron ou réalité ?

Revoir Tron aujourd’hui (l’original, pas sa suite « milléniale » Tron : l’héritage de 2010, dont la seule plus-value s’appelle Daft Punk), c’est se rendre compte que le film réalisé en 1982 par Steven Lisberger, alors très avant-gardiste – il sort à l’heure des bornes d’arcades et de l’Atari 2600, dix ans après la commercialisation de la toute première console –, est bien dans son temps en 2023. Plus qu’une fantastique séance de cinéma expérimental, son scénario frappe par sa thématique visionnaire : Kevin Flynn, concepteur de jeux vidéo spolié par un de ses anciens collègues, lui-même manipulé par un programme informatique devenu surpuissant, est dématérialisé à l’intérieur d‘un système informatique et s’adonne, dans la « grille des jeux » (« the grid »), à des épreuves du type jeux d’arcades pour retrouver sa liberté. Sans compter le recours aux images générées par ordinateur, qui fait de Tron le premier film jamais conçu en images de synthèse. Comme si, au tout début des années 1980, Tron nous prédisait déjà l’avenir…

On dit que Steven Lisberger eût l’idée de Tron en jouant à Pong. Courtesy Disney

L’Intelligence Artificielle (IA)

« […] A mon tour d’utiliser les hommes. Je suis devenu deux mille quatre cent quinze fois plus intelligent depuis. Grâce aux informations que je détiens, je suis mille deux cents fois meilleur qu’un humain. » Et le MCP – Master Control Program, le programme informatique maître –, le grand méchant de l’histoire, de mettre un terme à la communication (« end of line »). À la sortie du film, les fans de SF ont pu tisser un lien entre cette scène où Dillinger, le directeur d’Encom, plie sous les directives autoritaires du programme informatique et celle d’un film sorti deux ans plus tôt, Star Wars : L’Empire contre-attaque (1980), où Vador reçoit les instructions de l’Empereur en hologramme dans un même décor sombre. Mais ce qu’on y voit nous, toujours aussi fan de SF et avec quarante ans d’évolution technologique dans le rétro – et avec le souvenir du système informatique HAL 9000 qui prend le contrôle dans 2001, l’odyssée de l’espace –, c’est la représentation d’une IA aboutie avant l’heure ! Le MCP, à l’origine un jeu d’échecs électronique inventé par Dillinger, s’émancipe de son créateur en évoluant de manière incontrôlée, développe sa propre intelligence et communique au moyen d’un texte s’affichant en temps réel sur un écran numérique. On n’est pas si loin de Siri, de ChatGPT ou de Tay, l’IA conversationnelle de Microsoft qui a viré nazie, après avoir été trollée dans son apprentissage par des internautes.

Le Métavers

Scène culte : Jeff Bridges, dans le rôle de Kevin Flynn, est dématérialisé par un rayon laser, pixel par pixel, et téléporté au cœur même de l’ordinateur. À l’intérieur du système, il croise des programmes qui ont chacun l’apparence humaine de leur concepteur, serrés dans des combis à néons (l’inventivité du blacklight, trucage optique complexe fait main) pas super stretch. Lui-même affublé d’un casque et d’un uniforme, Flynn fait équipe avec deux programmes rencontrés en chemin, joue sa vie dans des courses de motocycles lumineux, des combats de disques et parcourt la grille pour trouver une issue. En 1982, Tron représente sur grand écran le métavers fantasmé de demain ! Même si les définitions du terme font débat – il y a un monde entre Meta et Fortnite –, l’idée est là : un lieu numérique conçu comme une oasis virtuelle où chaque utilisateur interagit via son avatar, et où l’expérience virtuelle et celle IRL sont très poreuses. Pour l’instant, la science n’ayant pas encore inventé le laser dématérialisateur, l’humain peut au grand max emprunter un casque de réalité virtuelle pour vivre l’aventure méta en 3D.

« Tron » n’a pas fait autant d’entrées qu’escomptées à sa sortie. Mais le jeu vidéo qui en est dérivé, « Tron : Deadly Discs » (1982) lui, s’est taillé un joli succès. Courtesy Disney

Le cinéma vidéoludique

Dans son élan futuriste, Tron a inauguré une catégorie ciné un peu niche, mais forte de succès : le film de SF plongé dans un univers virtuel, ou « cyberfilm ». Et ceux qui s’en réclament feront date : Matrix (1999), Ready Player One (2018), Tron : Legacy (2010), sans oublier Spy Kids 3 : Mission 3D (2003), ou même Free Guy (2021) – d’ailleurs véritable hommage à Tron, les héros cherchant dans un jeu vidéo la preuve matérielle qu’on a dérobé leur travail. Dans chacune de ces œuvres, l’outil de bascule du réel au virtuel varie – pilule (rouge ou bleue ?), équipement de VR et capteurs de la tête aux pieds, laser, etc. – mais le concept demeure, bien ancré désormais dans la pop culture. D’ailleurs, aviez-vous remarqué ce petit Pac-Man glissé dans le décor de Tron à la manière d’un easter egg ?

Le jeu vidéo cinématographique

L’anecdote veut que Steven Lisberger eût l’idée de Tron en jouant à Pong, jeu d’arcade édité par Atari en 1972. Après la sortie du film, qui fit quand même un petit flop et décida Disney à interrompre un moment ses tentatives de cinéma en live action, le jeu vidéo dérivé Tron : Deadly Discs (1982) rencontra lui un joli succès. Notons maladroitement la formule : jeu vidéo > film qui parle d’un jeu vidéo > jeu vidéo. Et observons ce qu’il s’est passé depuis. Dans un sens comme dans l’autre, nombreux sont les jeux vidéo qui ont donné des longs métrages (Prince of Persia, Super Mario Bros. le film, etc.) ou qui s’en sont inspirés (Scott Pilgrim). Et encore plus nombreux sont les films, principalement des blockbusters, qui ont été adaptés en jeux vidéo (d’E.T. à Harry Potter en passant par Le Livre de la jungle). Difficile, même, de savoir qui de l’œuf ou de la poule quand, aujourd’hui, les cinématiques de jeu vidéo empruntent au cinéma ses technologies, ses principes de mise en scène, jusqu’aux visages de ses acteurs et actrices (Léa Seydoux dans Death Stranding, Keanu Reeves dans Cyberpunk 2077, Sunny Suljic dans God of War), ou quand certains réalisateurs usent et abusent des images de synthèse à en confondre leur film avec un jeu vidéo – petite expérience, comparez Avatar 2 et la bande-annonce de son jeu vidéo…

Source: Télérama.fr