Cryptomonnaies : les réponses d’un expert pour démêler le vrai du faux
Sur le thème particulièrement complexe des cryptomonnaies, l’expertise de François Laviale, qui a co-fondé Alphacap Digital Assets est plus que nécessaire. Féru de crypto depuis (quasi) les débuts, c’est une bible sur le sujet ! Il a d’abord « miné » dans son salon, avant de travailler dans la finance plus traditionnelle. Aujourd’hui, avec son activité de gestion crypto sous mandat (des clients lui confient un certain montant, en direct ou via des conseillers en gestion de patrimoine, et il est chargé de placer cet argent sur des cryptomonnaies, en essayant d’obtenir pour eux la meilleure performance), il concilie l’approche méthodique de la gestion privée et sa passion pour la blockchain et autres crypto-concepts. Nous revenons ensemble sur les bases de la blockchain, du Bitcoin, des cryptomonnaies…
ELLE. – Tout commence par la blockchain ? Pouvez-vous nous expliquer ce dont il s’agit ?
François Laviale. -La blockchain, c’est une sorte de registre, une base de données. Mais, qui a la particularité d’être un moyen d’enregistrer de façon immuable, accessible à tous et infalsifiable, des informations.
ELLE. – La blockchain est accessible tout de suite par tout le monde ?
F.L. –Oui, il suffit d’aller sur internet, de chercher un « explorer » et on peut accéder par exemple à la blockchain de Bitcoin. Dedans, il y a des blocs, qui correspondent à un ensemble de transactions. Au bout d’un certain nombre de transactions (déterminé par une limite de temps ou de poids par exemple), le bloc est plein, on le ferme et on passe au suivant. Par exemple, pour Bitcoin, on ferme le bloc au bout de dix minutes.
ELLE. - Qui valide les transactions ?
F.L. -On les appelle les mineurs. Leur rôle est de fournir la puissance de calcul pour sécuriser cette blockchain et donc valider les transactions. Tout le monde peut devenir mineur, mais pour pouvoir exercer cette fonction, il faut acheter du matériel technique qui permet de valider les transactions. Ce sont des ordinateurs très puissants et adaptés à résoudre les calculs de la blockchain. Chaque ordinateur contient l’ensemble des informations de la blockchain, c’est-à-dire l’historique de l’ensemble des transactions effectuées. Les détenteurs de ces ordinateurs vont tenter de résoudre un calcul pour valider un bloc. Celui qui y parvient est rémunéré avec, dans le cas de la blockchain Bitcoin, des bitcoins (50 au début de l’histoire Bitcoin, puis quelques années après 25 BTC, puis 12,5, 6,25 aujourd’hui, et 3,12 BTC à partir d’avril 2024). La valeur de cette monnaie étant très élevée (1BTC = 30 000 euros environ), cela représente une somme suffisamment attractive pour donner envie à des milliers de personnes de s’équiper de ces ordinateurs.
ELLE. - Quel intérêt de créer ce système alors que nous avons un système financier qui fonctionne déjà ?
F.L. -Le Bitcoin a été créé suite à la crise financière de 2008. Il est en lien avec une mouvance que l’on appelle les crypto-punks, une version digitalisée des libertariens, qui considère que la monnaie doit être un bien commun, et ne pas être régie par une autorité centrale.
Cependant, on ne se sait pas vraiment si ce sont les crypto-punks qui ont inventé le Bitcoin en lui-même, car on ignore l’identité de celui ou celle qui l’a créé. Il est très probable que cette personne soit proche du mouvement crypto-punk et très compétente dans le domaine de la cryptographie (science informatique de l’encodage). On dispose d’un pseudonyme, Satoshi Nakamoto. Plusieurs personnes ont prétendu être Satoshi, mais aucune n’a pu le prouver à ce jour. Il est donc possible que le véritable créateur soit décédé ou qu’il s’agisse d’un consortium d’universitaire par exemple.
Ce qui est formidable dans l’histoire du bitcoin, c’est le fait que son fondateur ou sa fondatrice se soit complètement effacé derrière sa mission. Il ou elle (ou eux) a eu l’humilité de ne pas profiter de la notoriété ou de la richesse qu’il pourrait en tirer. Cette personne détient 1 million de Bitcoin (soit 30 milliards d’euros) et n’en a jamais fait l’usage car aucune transaction n’a été observée depuis son adresse. On sait simplement que dans le premier bloc « Genesis Block », il a noté cela : « The Times, 03/Jan/2009 Chancellor on brink of second bailout for banks », soit une allusion explicite à la crise bancaire de 2008.
Il dénonce en effet le fait que notre croissance soit aujourd’hui financée par l’endettement, une économie qui repose sur des dettes que les états ne pourront probablement jamais rembourser. A contrario, détenir de la cryptomonnaie a pour principal intérêt d’avoir un actif dont on est propriétaire et dont la valeur n’est pas dépendante du système financier mondial. Aujourd’hui, le phénomène a pris une telle ampleur, est devenu tellement décentralisé, que plus aucun acteur ne pourrait en prendre le contrôle. Même la force combinée des GAFAM ne permettrait pas de produire plus de 2 ou 3% de la puissance de calcul du réseau.
ELLE. – À l’origine, il s’agit donc d’une utopie, et d’un projet très humaniste en somme… Mais, comment est-on passé de cela à la cryptomonnaie telle qu’on la connait aujourd’hui, avec une multitude de monnaies différentes et d’acteurs ?
F.L. -À mesure que le Bitcoin a gagné en popularité, on a vu se développer des technologies similaires, avec des volontés de rendre ces monnaies numériques plus programmables afin de pouvoir multiplier leurs cas d’usage au-delà de la simple transaction monétaire permise par le Bitcoin. Pour simplifier, on a essayé de reprendre le principe de cette base de données accessible à tous et décentralisée et, à partir de là, de construire des projets ou des entreprises qui profitent de ces innovations.
ELLE. - Quel a été le premier projet à se distinguer après le Bitcoin ?
F.L. -Il y en a eu plusieurs mais qui n’ont pas survécu dans le temps, car n’étant pas suffisamment performants ou différenciants en termes d’usages. Le premier qui a vraiment fait date après Bitcoin, c’est l’Ethereum, qui amène une nouvelle innovation : la programmabilité de la monnaie. Cela signifie que grâce à la blockchain Ethereum, je peux prévoir que si X (un évènement) survient, alors Y (une action) se produit. Cela signifie qu’on peut s’appuyer sur ce système pour déclencher des transactions automatiques et plus complexes. Par exemple dans le cas d’une assurance : si le train est en retard, alors je déclenche le remboursement du billet au client.
Aujourd’hui, on est encore dans cette ère de trouver de nouveaux usages.
ELLE. - Concrètement, quelle application peut avoir ce système de finance décentralisée ?
F.L. -Cela peut permettre à des gens qui ne sont pas bancarisés d’accéder à l’emprunt. Dans une situation fictive, où tous les actifs sont tokenisés (c’est-à-dire qu’ils sont associés à un titre de propriété digitalisé) - donc que ta maison est tokenisée - tu peux imaginer la mettre en gage sur la blockchain, pour pouvoir emprunter de l'argent par exemple.
Un second exemple intéressant est celui du Salvador, qui est le premier pays qui a décidé, en 2021, de faire du Bitcoin sa monnaie nationale. Ils avaient un problème : dans les zones péri-urbaines et rurales, très peu d’habitants étaient bancarisés (26% de la population nationale). Cela signifie qu’ils ne disposaient pas de moyen de paiement. Un an après l’introduction du Bitcoin, plus de 75% de personnes avaient accès à un moyen de paiement, qui plus est, international. Cela a changé la vie de milliers de personnes.
Forcément, pour nous qui avons une monnaie fiable, un système bien irrigué, cela nous parait moins utile. Mais pour tous les pays en voie de développement, c’est un vrai levier d’amélioration des conditions de vie. Le cout d’entrée pour avoir accès à une monnaie digitale (un ordinateur ou un téléphone et un accès à internet, même occasionnel) est très faible au regard de la fiabilité du système auquel il donne accès.
ELLE. - Concrètement, si demain on veut utiliser une monnaie digitale, comment faut-il faire ?
F.L. -Il existe deux façons principales de le faire, qui ont chacune leurs avantages et leurs inconvénients.
La première, la plus simple, consiste à se rendre sur une plateforme d’achat (type Binance, Coinbase, Kraken, ou même certaines néo-banques), pour transformer des euros en cryptomonnaie. A noter cependant que sur la plupart de ces plateformes, on n’est pas vraiment propriétaire de ces actifs. Comme dans une banque d’ailleurs, si la plateforme fait faillite, on n’a pas de garantie de retrouver son argent.
La seconde est de détenir un portefeuille en son propre nom, que l’on gère ou dont on délègue la gestion à une société. Dès lors, la monnaie est stockée dans un « wallet » dont on conserve la clé, qui nous permet d’y accéder de manière sécurisée. L’avantage étant que, en tant que détenteur des actifs, tant que la blockchain existe, notre argent ne peut disparaître. En revanche, l’inconvénient est que gérer ainsi son argent demande d’y consacrer du temps. Dans le cas où on le fait gérer, il y a généralement un montant minimum d’investissement et des frais de gestion associés.
ELLE. - Dernière question, toujours polémique… Qu’est-ce que l’on met dans son portefeuille ?
F.L. - Suivre l’actualité des cryptomonnaies est ultra-chronophage et complexe. Si on n’a pas des heures à y consacrer toutes les semaines et qu’on ne maitrise pas l’écosystème, c’est vraiment difficile de faire les bons choix. Si on ne veut pas demander conseil pour la gestion, je recommande de plutôt rester sur des monnaies sûres, comme le Bitcoin ou l’Ethereum, plutôt que de se lancer dans des monnaies plus exotiques avec espoir de faire des profits énormes.
Il faut savoir qu’il y a énormément de marketing dans l’univers des cryptos et pas toujours des gens très honnêtes. Quoiqu’il en soit, il ne faut pas oublier que quiconque qui achète une cryptomonnaie a intérêt à ce qu’un maximum de monde autour de lui fasse de même, pour que sa valeur augmente. Donc, même s’il n’y a aucune malveillance derrière l’enthousiasme de sa ou son meilleur(e) ami(e) qui parle d’un projet crypto, il faut toujours rester très prudent avant d’investir dedans.
Source: ELLE France