Au Festival d’Avignon, des jeunes en réinsertion prennent le micro

July 11, 2023
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Elia (au centre) sur le terrain pour l’émission « A la jeunesse les micros », le 11 mai 2023. ALEXANDRE QUENTIN

Elles s’appellent Elia, Nessrine, Camélia, Tanzila. Ils s’appellent Noah, Kenzo, Dorian. Ils ont entre 16 et 23 ans, viennent du Vaucluse et de Seine-Saint-Denis et, du mardi 11 au dimanche 23 juillet, ces jeunes en réinsertion vont animer, en direct du Festival d’Avignon, une émission de radio si justement nommée « A la jeunesse les micros ». Et il faut les voir, en ce jour de mai pendant qu’ils répètent, la prendre cette parole, et oser le micro !

A commencer par Noah, verbe précis et malicieux, et Elia qui avoue pourtant sans peine qu’« au début, [elle] n’osai[t] pas ». « La radio, en créant des possibilités de paroles et de rencontres peut-être un rempart et une lueur, avance Alexandre Plank, qui les encadre. Un émetteur peut devenir le foyer d’un contre-feu et un micro peut être le porte-voix d’une génération, d’un peuple ou d’une classe sociale. »

Après des études de philosophie et de dramaturgie au Théâtre national de Strasbourg, ce quadragénaire fut réalisateur à Radio France pendant dix ans durant lesquels il fit largement entendre le réel – notamment pendant Nuit debout, mouvement de protestation contre la loi du travail en 2016. Trois ans plus tard, il montait, avec Amélie Billault, Making Waves, une association créée « pour favoriser, par la radio et le podcast, l’éclosion d’espaces de dialogue, d’expression et de création ».

Agora participative

Rassemblant des journalistes, des universitaires, des femmes et des hommes venus du spectacle vivant et des acteurs du champ associatif, l’activité est structurée en trois pôles : une ONG (qui a pour vocation d’installer des studios radio dans des zones en crise), un studio de création sonore et un atelier chantier d’insertion qui emploie une dizaine de personnes en situation d’exclusion, de handicap ou de précarité.

C’est dans ce cadre qu’est née l’envie de s’associer au Festival d’Avignon que son nouveau directeur, Tiago Rodrigues, rêve en agora participative. Pour le dramaturge, metteur en scène et acteur portugais, « A la jeunesse les micros » est « une réponse – ou, disons, une interprétation – de cet esprit de service public et de démocratie populaire si présente et si essentielle au Festival depuis sa création par Jean Vilar en 1947 ».

Noah (à gauche) avec Alexandre Plank (à droite) pour l’émission « A la jeunesse les micros », le 11 mai 2023. ALEXANDRE QUENTIN

Formés à la pratique radiophonique depuis le mois de janvier, « nos superjeunes » comme les surnomme Alexandre Plank, doivent animer une quasi quotidienne (depuis la cour du cloître Saint-Louis et diffusée, du mardi au samedi, sur plusieurs radios associatives) faite de chroniques, reportages et interviews d’artistes et d’acteurs culturels.

« Des pansements permanents »

D’ici là, il y a encore un peu de travail. En ce jour de mai, Alexandre Plank joue tout à la fois le chef d’orchestre et le directeur de colo : « Allez Dorian et Nessrine : on se réveille ! » ; « Elia, je te fais payer chaque fois que tu dis “du coup”. » Toujours avec une bienveillance infinie. « lls ont pris les choses en main et commencent à avoir un instinct de radio. lls ont appris à se raconter et à écouter », dit-il alors que Mohammed Bensaber, directeur du pôle Education populaire et insertion, insiste : « Jamais le travail n’est “descendant” : on part de ce qu’ils sont. »

Justement, il est temps de relancer leur attention un peu diluée entre deux parties de ping-pong et une part de pizza. « On se refait une petite émission. Cet été, on prendra l’antenne à 19 heures pile donc on commence à 15 h 40 pile », lance Alexandre. « On est des pansements permanents sur ce que le service public n’est plus capable de faire », n’a-t-il pas peur de dire. Et d’ajouter : « En créant une radio qui se veut un espace de paroles et de conversations inattendues, une radio où se croisent des gens que tout semble éloigner, Making Waves espère ouvrir des interstices et créer de nouvelles relations. Pour y faire surgir des formes de solidarités et de partages inédits et pour mettre en lumière, contre tout ce qui apparemment nous sépare et nous divise, ce qui nous lie, nous touche et nous anime collectivement. »

Elia (de dos) et Noah pour l’émission « A la jeunesse les micros », le 11 mai 2023. ALEXANDRE QUENTIN

Pour Agathe Morandeau, chargée de développement local à Avignon, ce que ce projet a permis est déjà éclatant : « Reprise de confiance en soi, découverte du monde de l’audiovisuel, développement de compétences en termes d’écriture et de prise de parole. » Pour preuve, à 23 ans, Elia, qui avait dû interrompre ses études pour s’occuper de sa mère, vient de déposer son dossier à l’université. Comme tous, Noah jubile à l’idée d’en être. Première fois au Festival d’Avignon. Première fois à la radio. « C’est ouf ! », résume Dorian. Et tant pis s’il arrive cet été qu’il y ait des ratés. Cela participe, comme le rappelle Alexandre Plank, du côté « spectacle vivant ».

Source: Le Monde