Tout comprendre au séisme politique qui secoue le pays

July 12, 2023
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Le royaume thaïlandais est dans l’incertitude. Les scenarii pour déterminer qui prendra la tête du pays jeudi se multiplient sans qu’il ne soit possible de faire émerger un favori. Après la victoire écrasante du parti d’opposition Move Forward aux législatives, son leader Pita Limjaroenrat pourrait prendre le poste de Premier ministre.

Mais l’armée, au pouvoir depuis près d’une décennie, a mis en place une Constitution qui lui est favorable. Pita Limjaroenrat risque une suspension pour des soupçons d’irrégularités. Pour vous permettre de tout comprendre, 20 Minutes fait le point pour vous sur cette situation politique particulièrement incertaine.

Qu’est-ce que Move Forward et qui est son leader ?

Move Forward est un parti d’opposition, né des cendres de Future Forward, qui avait fait une percée dans les urnes en 2019 avant d’être dissous. En mai, lors des élections législatives thaïlandaises, il a infligé un revers historique à l’armée. Alors que la junte gouverne depuis une quasi-décennie, le pays a été secoué par des manifestations massives pour plus de démocratie en 2020. Une colère et un désir de renouveau, notamment des jeunes générations, qui a entraîné le leader de Move Forward, Pita Limjaroenrat, à la victoire.

Télégénique, divorcé, passé par Harvard, Pita Limjaroenrat incarne le changement. Aux antipodes de Prayut Chan-O-Cha (69 ans), un ancien général arrivé au pouvoir à la suite d’un putsch en 2014, affaibli par une croissance économique en berne et le recul des libertés fondamentales. Le programme de Move Forward comprend une nouvelle Constitution, pour remplacer celle en vigueur depuis 2017 et jugée favorable aux intérêts de l’armée, ainsi que la fin du service militaire obligatoire pour les hommes, l’ouverture de certains marchés et la légalisation du mariage pour tous. Le mouvement est le seul à oser évoquer une réforme de la loi qui réprime durement la lèse-majesté, un tabou en Thaïlande où le roi Maha Vajiralongkorn jouit d’un statut de quasi-divinité.

Pita Limjaroenrat va-t-il prendre la tête du pays ?

Le lendemain de l’éclatante victoire de son parti, que les sondages n’avaient pas prédite, l’homme a lancé aux journalistes : « Je suis Pita Limjaroenrat, le prochain Premier ministre de la Thaïlande ». Mais deux mois plus tard, rien n’est moins sûr. Le Sénat s’oppose à lui et ses 250 membres, nommés par l’armée, réfutent son programme réformiste. Il est certes soutenu par une coalition de huit partis qui dispose de 312 sièges à l’Assemblée nationale, mais cela ne suffit pas pour atteindre la majorité de 376 votes requise dans les deux chambres du Parlement pour prétendre au poste de Premier ministre.

Plus inquiétant encore, la commission électorale thaïlandaise a recommandé mercredi la suspension du député réformiste, sous le coup d’une enquête pour irrégularités. La commission électorale a décidé de transmettre ses conclusions à la Cour constitutionnelle, à la veille d’un vote crucial à l’Assemblée nationale et au Sénat réunis pour désigner le nouveau Premier ministre.

Qu’est-il reproché à Pita Limjaroenrat et que pourrait-il se passer ?

Le leader de Move Forward est accusé d’avoir possédé durant la campagne des actions dans une chaîne de télévision, en contradiction avec la loi. Le parlementaire âgé de 42 ans risque la prison, la perte de son siège et l’inéligibilité durant vingt ans. Il se défend de toute manœuvre illégale.

La Cour constitutionnelle doit désormais indiquer si elle accepte de se saisir du dossier. La puissante instance est impliquée dans plusieurs des crises cycliques qui caractérisent la vie politique thaïlandaise, entre interférences de l’armée et de la justice dans le processus démocratique, et manifestations massives, parfois violentes. La Thaïlande a connu une douzaine de coups d’Etat réussis depuis la fin de la monarchie absolue en 1932. En cas d’échec pour désigner un Premier ministre jeudi, députés et sénateurs se réuniront autant de fois que nécessaire, jusqu’à la nomination de quelqu’un.

Comment réagissent Pita Limjaroenrat et son parti à ces rebondissements ?

Le député progressiste dénonce une procédure « rapide » et « injuste » à son encontre. « Je garde le moral », a-t-il déclaré aux journalistes à la sortie du parlement, ajoutant que le vote prévu jeudi pour désigner le nouveau chef de gouvernement doit se dérouler « comme prévu ».

Ses soutiens voient dans la décision de la commission électorale un nouvel obstacle dressé par les milieux conservateurs pro-armée qui désapprouvent son programme jugé trop radical. C’est un « abus de pouvoir », a dénoncé Move Forward dans un communiqué, assurant que la commission électorale n’a pas donné à Pita « la possibilité de s’expliquer ». « Pourquoi autant de précipitation ? Je ne vois qu’une seule raison, c’est pour influencer le résultat de vote » de jeudi, a expliqué Prinya Thaewanarumitkul, professeur de droit public à l’université Thammasat de Bangkok. « Les sénateurs ont besoin d’une raison pour ne pas voter pour le candidat issu du parti vainqueur, qui dispose de plus de la moitié des sièges. Il fallait une raison pour justifier leur action et la voilà », a-t-il estimé.

Source: 20 Minutes