DSP aérienne : menace sur le monopole Air Corsica-Air France
Après avoir annoncé à Corse-Matin, le 8 juillet, "son positionnement très probable" sur la délégation de service public (DSP) aérienne corse, Volotea nous a confirmé hier, quelques minutes après la clôture de l'appel d'offres, qu'elle avait bien candidaté à cette DSP.
Selon nos informations, le low cost espagnol s'est porté candidat sur les lignes Paris-Orly et Marseille à partir des aéroports d'Ajaccio et de Bastia. Tenue par des impératifs juridiques, la compagnie ne les a ni confirmées ni infirmées. Son service de communication déclare : "Cet appel d'offres était ouvert à toutes les compagnies. Volotea se porte candidate pour certaines lignes car la Corse est déjà un marché significatif pour elle et elle souhaite poursuivre le développement de sa desserte du territoire insulaire. Si elle devait être retenue pour certaines routes, la compagnie s'engagerait à faciliter la création d'emplois au niveau local et à solliciter des partenaires basés sur les territoires qu'elle desservirait. Elle serait aussi en mesure de proposer une politique tarifaire très compétitive et une excellente qualité de service, au même titre que les offres proposées sur les lignes qu'elle exploite déjà. Confiante quant à la qualité de sa candidature, Volotea rappelle sa parfaite connaissance des DSP grâce notamment à son expérience à Lourdes ou encore en Sardaigne."
Scénario catastrophe
D'après plusieurs avis compétents : "Volotea a exclu Nice car cette destination est assurée par des avions de transport régional (ATR). Elle dispose d'Airbus, elle a répondu en fonction de ses capacités techniques." Du côté d'Air Corsica, Luc Bereni, le président du directoire, fait bien moins de mystère sur le détail de la candidature de son entreprise, tant cela est évident : "Nous avons déposé une candidature commune avec Air France pour les quatre lignes Corse-Orly et une candidature d'Air Corsica seule pour les huit lignes de bord à bord", soit sur l'ensemble de l'offre.
Le simple fait que Volotea se positionne sur la DSP était en soi une mauvaise nouvelle pour Air Corsica. Le fait qu'elle le fasse sur les lignes de Paris, mais aussi sur celles de Marseille depuis les deux principaux aéroports de Corse, préfigure un véritable scénario catastrophe. "Si cette compagnie obtenait ces lignes-là, qui représentent à peu près le quatre cinquième de la DSP, ce serait la fin d'Air Corsica", prévoit, pessimiste, un acteur de l'aérien local. La compagnie insulaire (ancienne CCM) dont l'actionnariat est détenu à 65 % par la Collectivité de Corse, repose principalement sur la DSP, un modèle porté à bout de bras et fragile juridiquement. Comment l'entreprise pourrait-elle assurer sa pérennité sans ces lignes ? Que deviendront ses 660 employés, sans compter tous les emplois indirects liés à l'activité d'Air Corsica ? L'enjeu social mais aussi économique et politique de cette DSP - qui assure la continuité territoriale via le subventionnement de l'État - est tel, qu'il y a fort à parier que tout sera fait pour contrer la candidature offensive du low-cost.
La contre-attaque pourrait intervenir au moment de la recevabilité des candidatures, première étape du processus d'attribution du marché. La CdC et l'office des transports de la Corse qui a lancé l'appel d'offres n'ont pas souhaité répondre à nos questions pour des raisons légales, mais selon nos sources, la commission d'appel d'offres devrait se réunir le 18 juillet. "On peut penser que l'offre de Volotea sera jugée irrecevable car elle a déjà été condamnée pour non-respect du droit du travail français, fait valoir un autre spécialiste de l'aérien. Son personnel navigant étant basé en Espagne, elle n'a cotisé ni à l'Urssaf ni à la caisse des retraites du personnel navigant."
Cet argument avait motivé le recours porté par l'un de ses concurrents, Chalair, dans le cadre de l'attribution de la délégation de service public aérienne entre Tarbes-Lourdes et Paris-Orly, en 2022. Mais après s'être acquittée de l'amende infligée par le tribunal de Pau pour "travail dissimulé", la Catalane avait finalement emporté la DSP. "Le cas de la Corse est très différent. Air Corsica ne peut pas se redéployer autre part, elle a presque tout en Corse. C'est une aventure unique avec un pacte social particulièrement fort", veut encore espérer notre interlocuteur qui poursuit : "Les low cost ne sont pas mal vus en Corse l'été quand ils pallient un service qui fait défaut. Mais ce modèle n'est pas fait pour le service public, contrairement à Air Corsica dont c'est l'ADN. Le service public ne souffre pas de retards ni d'annulations de vols. Volotea a beau nous dire qu'elle respectera ses obligations, qui nous dit qu'elle s'y tiendra ?"
Trouble à l'ordre public ?
Déclarer l'appel d'offres infructueux pour trouble à l'ordre à public serait une autre option. Comme en 1999, lorsque Air Littoral, qui s'était portée candidate à la DSP corse (une candidature bien plus modeste que celle de Volotea), avait préféré battre en retraite devant la forte pression sociale et celle des élus insulaires, et ce malgré son offre moins-disante. Mais Volotea semble bien déterminée et ses états de service sur l'île depuis 2012 constituent de solides arguments. "Je ne vois que le motif du trouble à l'ordre public pour empêcher la fin du monopole d'Air Corsica et Air France, commente un autre acteur de l'aérien. Car une chose est sûre : si la candidature de Volotea est retenue, le personnel d'Air Corsica et leurs familles porteront sans aucun doute la contestation dans la rue." La bataille est sur le point d'être lancée. Elle promet d'être un casse-tête juridique et social pour l'exécutif de Corse. La condamnation en 2021 de la CdC à verser à la Corsica Ferries 86,3 millions d'euros en réparation du préjudice lié au "subventionnement illégal" de sa concurrente, l'ex Société nationale Corse Méditerranée (SNCM), est encore dans tous les esprits.
Source: Corse Matin