"Les démineurs de l’État sont débordés"
Une course contre la montre a débuté en Ukraine dans les zones libérées par l’armée. Toute la zone entre Izioum et Kharkiv est parsemée de mines et d’obus non explosés. Or les semences n’attendront pas. Les agriculteurs ont pris le problème en main.
Sous le hangar d’Oleksander gît un vieux tracteur bardé de tôles et de bois sur les côtés, et muni à l’avant d'un immense bouclier rapiécé. Cet objet motorisé non identifié est composé de morceaux de chars calcinés de l’armée russe. Il a été converti en tracteur démineur télécommandé. Mais il a sauté la veille sur une mine antichar, explique Oleksander : "Le rouleau à l’avant a sauté ! Et deux vitres de la cabine sont brisées. Le principal, c’est qu’il n’y ait pas de blessés".
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Il fallait bien trouver une solution de fortune, après avoir découvert 260 mines dans ses champs. Avec son engin, Oleksander en a déjà mis 30 au jour. Il place des drapeaux pour baliser les engins explosifs puis sème tout autour. "On a appelé les démineurs de l’État, mais ils sont débordés. Leur priorité, ce sont les lignes électriques, les gazoducs… On a vite vu qu’il fallait qu’on trouve nous-mêmes une solution".
Sacha, ingénieur agronome, a dégagé à la main trois roquettes grad non explosées dans son champ. (MATHILDE DEHIMI / RADIO FRANCE)
À 30 kilomètres de là, une immense exploitation de 16 000 hectares a plus de la moitié de son terrain inaccessible. L’ancienne ligne de front s’était installée sur ces champs qui sont truffés de cratères, de mines, de carcasses de chars calcinées. Les hommes de Sacha se concentrent donc sur les hectares les moins dangereux pour désherber. Ils ont passé une première fois le tracteur, la peur au ventre. Sur ces terres, moins exposées au combat, le déminage se fait à l’œil, en observant s’il y a des traces de chars. Sacha, ingénieur agronome, a dégagé à la main trois roquettes Grad non explosées. "Elles étaient au milieu du champ, explique-t-il. On les a soulevées avec précaution et déposées là. Si le tracteur était passé dessus, notre ouvrier serait mort."
Les ouvriers qui passent en premier dans un champ reçoivent d’ailleurs une prime. "Avant, on travaillait jour et nuit en cette saison de semences, maintenant, avec le risque de mines dans les champs, le conducteur doit voir ce qui est devant le tracteur. Et comme il ne peut pas repérer les engins explosifs dans la nuit, il ne peut travailler que sur une courte période de la journée", poursuit Sacha.
"On a déjà survécu à tellement de choses que ça ne nous fait pas peur." Sacha, ingénieur agronome à franceinfo
Le temps presse, confirme Sacha, l’avenir de l’entreprise et de ses 50 salariés est en jeu. "Si on ne sème pas le tournesol, qu’on ne le traite pas, on n’aura pas de récoltes. Si on n’a pas de récolte, on n’aura pas de revenus, résume l’exploitant. Il faut payer les impôts, les salaires, faire des bénéfices pour pouvoir développer l’entreprise. Si on n’a pas la possibilité de faire tout ça, on va couler." Sacha a fait ses calculs, l'exploitation l'an dernier a perdu six millions de dollars faute d'avoir pu récolter, sans compter le prix des engins agricoles dérobés par les soldats russes.
Les agriculteurs n’ont donc pas le temps d’attendre, la récolte en dépend. Alors, ils prennent tous les risques. Le déminage du pays pourrait prendre 30 ans, d’après le ministre ukrainien de la Défense. La Banque mondiale a estimé le coût de l’opération à 37 milliards de dollars.
Source: franceinfo