Le Blanc-Mesnil: les sanctions contre les émeutiers et leurs familles approuvées, l'annulation de "Beach Mesnil" critiquée

July 14, 2023
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REPORTAGE - Suite aux émeutes, la municipalité de cette ville de Seine-Saint-Denis veut financer les réparations en supprimant plusieurs activités estivales.

Au Blanc-Mesnil ( Seine-Saint-Denis)

«Je suis dégoûtée.» Gladys, 29 ans, est venue au parc Anne-de-Kiev du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis) pour flâner avec son petit garçon de trois ans. Cet été, ils ne pourront pas profiter de «Beach Mesnil», la plage éphémère installée depuis plusieurs années par la municipalité dans ce parc communal. Suite aux émeutes qui ont embrasé plusieurs quartiers français après la mort de Nahel, un jeune de 17 ans tué par un policier, la mairie (Libres !) a décidé - entre autres mesures - d’annuler l’évènement pour financer les réparations. Une décision qui suscite la colère de certains habitants qui ont le sentiment de payer à la place des délinquants.

Pourtant, la municipalité entend bien faire payer par ailleurs les émeutiers. Le sénateur LR Thierry Meignen, ancien maire de la ville, a annoncé des sanctions ciblées sur les délinquants - qu'il a qualifiés de «petits connards» - et leurs familles. Ces derniers se verront exclus «de toutes les organisations faites pour les enfants au moment des vacances d'été : centre de loisir, départ en vacances avec la ville» et ne bénéficieront pas des «3000 billets d'accès aux bases de loisirs» dispensés aux habitants de la commune par la région Île-de-France. Des sanctions dont les habitants n'ont, autant que Le Figaro a pu en juger, pas entendu parler. Mais qu’ils applaudissent. «Je ne savais pas, affirme Florence, 41 ans, mais cela me paraît parfaitement logique, c'est aux familles des émeutiers de réparer les dégâts.» Même son de cloche du côté de Yanis, 29 ans, qui explique qu'il n'était «pas au courant». «Mais c'est bien, ça va les responsabiliser, tu casses tu payes, il faut assumer.»

«Tout le monde paie pour les coupables»

Mais les Blanc-mesnilois regrettent surtout l’annulation de «Beach Mesnil». «Je n'ai pas de vacances cet été, poursuit Gladys, je comptais sur “Beach Mesnil” pour mon petit garçon !» La jeune maman ne cache pas sa colère et considère «payer les pots cassés pour tout le monde». Une colère qu'elle dirige à la fois contre «le maire» et «les émeutiers». Comme Gladys, beaucoup d’habitants du Blanc-Mesnil la jugent infondée, dans cette commune où une part importante de la population ne part pas en vacances pendant l’été. «C'est injuste, abonde Alain, 45 ans et Blanc-mesnilois depuis toujours, ce ne sont pas ceux qui emmènent leurs enfants au parc qui ont tout cramé, tout le monde paie pour quelques coupables.» Pour lui, les coupables devraient plutôt se voir infliger des «travaux d'intérêt général» pour «faire le ménage» et «tout réparer».

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«Je ne souhaite pas [que ces coûts] soient supportés par la population, avait pourtant affirmé Thierry Meignen, ces gamins-là qui n'ont pas de cerveaux, ils paieront, les familles devront payer». Mais la municipalité a tout de même choisi de mettre en avant l’annulation de «Beach Mesnil» Partout dans la ville, un bandeau jaune a été apposé sur les affiches de promotion de la plage éphémère : «ANNULE - Les économies réalisées permettront de réparer les dégâts commis par les émeutiers». La nouvelle n'a pas tardé à faire le tour de la commune. L'opposition municipale communiste a accusé le maire d'infliger une «double peine» aux «classes populaires».

Coûts des émeutes : 800.000 euros selon la mairie

Créée par Thierry Meignen lorsqu'il était maire du Blanc-Mesnil, la plage éphémère devait ouvrir pour la septième fois du 15 juillet au 6 août 2023, au cœur du parc Anne-de-Kiev. Selon le dernier numéro du journal local, «Beach Mesnil» comportait notamment une piscine de 15 mètres de long, un espace destiné aux enfants avec «cabanes» et «toboggans», un autre destiné aux seniors, ainsi que des terrains de volley et de football. L'événement devait accueillir «plus de 2500 personnes par jour, en juillet et en août». «Ce projet prouve que notre politique sociale est généreuse, argue la municipalité. Mais cette année, elle a décidé d'arrêter les frais.

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Car l’heure est aux réparations. Parmi les structures endommagées par les émeutiers, la municipalité évoque notamment la mairie annexe et la maison des arts martiaux. Ce dernier bâtiment, flambant neuf, ne date que de 2019. «Ils ont incendié l’entrée et fait exploser les portes vitrées», témoigne Medhi 20 ans, agent d'accueil du bâtiment. Pour lui, les décisions de la municipalité vont dans le bon sens, y compris la suppression de la plage éphémère. «Le maire a raison, il faut tout remettre en état, l'année prochaine l'équipe du Japon vient s'entraîner ici pour les JO.» Sur place, les murs de l'entrée portent encore les traces de suie noire de l'incendie. L'espace béant laissé par la destruction des portes vitrées a été comblé par un panneau en fer.

Les murs de l'entrée de la maison des Arts martiaux du Blanc-Mesnil portent encore les traces de suie noire de l'incendie. L'espace béant laissé par la destruction des portes vitrées a été comblé par un panneau en fer. Eloi PASSOT / Le Figaro

Le jeune homme raconte que les émeutiers sont venus des cités voisines, «les Tilleuls, la cité verte et le 212». Dans la cité des Tilleuls, des rectangles noirs jalonnent la chaussée. Ces résidus de plastique calciné sont les dernières traces visibles des voitures incendiées. Deux distributeurs de billets brûlés sont condamnés.

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Les dégâts sont moins importants que dans d’autres communes voisines de Seine-Saint-Denis, comme Aulnay-sous-Bois par exemple. La Mairie estime toutefois le coût total des émeutes à «environ 800.000 euros», en comptant réparations des bâtiments, la réfection des chaussées, salaires des agents de sécurité mobilisés, etc. Une partie des travaux sera «prise en charge par les assurances», concède la mairie, «mais pas tout». L’annulation de «Beach Mesnil» représente selon elle une économie «d’environ 300.000 euros». Concernant les mesures ciblées contre les délinquants et leurs familles, la municipalité se dit prête à «se défendre devant les tribunaux» si cette politique venait à être contestée.

Le système casseur-payeur

Les sanctions ciblées contre les émeutiers et leurs parents, sur le modèle casseur-payeur, reviennent en force dans le débat public alors que le ministère de l’Intérieur a souligné la présence de nombreux mineurs parmi les casseurs interpellés. Plusieurs mairies suppriment déjà des prestations sociales aux familles de jeunes condamnés. C’est le cas, par exemple, d'Alexandre Vincendet, l'ancien maire LR de Rillieux-la-Pape (Rhône) ou des maires de Valence (Drôme) et d'Étampes (Essonne).

Par ailleurs, le Code pénal prévoit déjà des sanctions contre les parents de mineurs délinquants, mais celles-ci seraient peu appliquées. «Le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de son enfant mineur est puni de 2 ans d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende», dispose l’article 227-17 du Code pénal. Suite aux émeutes, le ministre de la Justice a publié deux circulaires destinées à rendre effectives les sanctions en cas de manquements à ces dispositions. Le ministre demande par ailleurs que les représentants légaux qui ne répondraient pas une convocation judiciaire, soient condamnés à une amende (montant maximal : 3 750 euros) et à un stage de responsabilité parentale.

Source: Le Figaro