" Au moins 250 mercenaires " du groupe Wagner sont partis de Centrafrique
Est-ce un départ sans retour ou une simple rotation ? Depuis la première semaine de juillet, des mercenaires du groupe russe Wagner ont quitté plusieurs des bases qu’ils occupaient en Centrafrique. « Au moins 250 d’entre eux sont déjà rentrés en Russie, confie un observateur étranger. Ils sont repartis à bord de quatre vols distincts. Le premier, avec une soixantaine d’hommes, a décollé de l’aéroport de Bangui-M’Poko le 6 juillet vers 2 heures du matin. Un Illiouchine 76 a ensuite effectué une double rotation vers la Russie. Il est parti le 6 juillet avec 45 mercenaires et, deux jours plus tard, avec 70 autres. Enfin, un Antonov, ayant atterri le 10 juillet, a décollé le lendemain avec 75 hommes. » Des sources citées par Jeune Afrique évoquaient précédemment un volume de départ plus important, entre 500 et 600 hommes.
Selon les correspondants locaux de la radio Ndeke Luka, l’un des médias les plus populaires du pays, ces « instructeurs russes » étaient notamment basés dans les préfectures de la Nana-Mambéré, la Vakaga, l’Ouham, l’Ouham-Fafa et la Lim-Pendé. « A Bouar [une ville située à environ 430 km au nord-ouest de Bangui], des habitants assurent avoir aperçu un rassemblement de militaires russes pliant bagages et armements », relate sur son site Internet la radio. « On peut supposer qu’ils sont partis définitivement, car certains ont vendu leurs biens et notamment leurs motos », confirme une source diplomatique.
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Pour l’heure, le pouvoir russe n’a pas levé le flou qui entoure l’avenir des activités du groupe Wagner en Afrique depuis l’échec de sa mutinerie du 24 juin. Ce mouvement en Centrafrique correspond-il à un renouvellement des troupes ou à leur remplacement ? Les hommes de Wagner en Centrafrique sont-ils simplement rentrés signer un contrat avec le ministère de la défense en Russie ou seront-ils relayés par d’autres troupes, plus officielles ou envoyées sous un autre parrainage que celui d’Evgueni Prigojine ? Pourraient-ils être redéployés en Ukraine, même si Wagner ne participe plus « de manière significative » aux combats, selon le Pentagone ?
Logique de démantèlement
Le retrait des paramilitaires basés en Centrafrique pourrait aussi s’inscrire dans une logique de démantèlement partiel des activités du groupe. L’armée russe a annoncé, mercredi 12 juillet avoir notamment reçu du groupe Wagner 2 500 tonnes de munitions et 20 000 armes légères « conformément au plan ». Dans ce contexte d’incertitudes, Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie russe, avait rassuré le 26 juin les pays « amis », le Mali et la Centrafrique, que le travail de Wagner allait « bien sûr continuer ».
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« Des instructeurs russes sont partis mais d’autres sont arrivés dans des proportions équivalentes, assure Fidèle Gouandjika, l’un des conseillers du président centrafricain Faustin-Archange Touadéra. Il s’agit d’une simple rotation. Dans les localités où il y a eu des départs, les forces centrafricaines vont assurer la sécurité, car elles ont été formées pour cela. S’il y a des escarmouches, elles seront appuyées par des soldats russes car l’accord de défense entre la Centrafrique et la Russie est toujours en vigueur. Dans ce contrat, Wagner est un sous-traitant. » Au Mali, au Soudan et en Libye, autres pays africains où les mercenaires russes sont déployés, aucun retrait de troupes n’a pour l’heure été constaté.
« Rien ne prouve aujourd’hui que Wagner s’apprête à quitter le continent, analyse Nathalia Dukhan, enquêtrice au sein de l’ONG The Sentry. Le mouvement de troupes correspond à une redéfinition militaire de la présence russe en Centrafrique, mais pas à un abandon des pays alliés. Depuis 2018, Wagner a investi tous les secteurs de la société centrafricaine, des médias à la politique en passant évidemment par l’économie grâce notamment à l’exploitation des mines. La plupart des investissements ne seront rentables qu’à moyen ou long terme, il semble donc peu probable qu’ils soient abandonnés maintenant. »
« Maîtres dans l’art de brouiller les pistes »
Le retrait ne pourrait donc cibler que les hommes faisant partie de l’entourage proche d’Evgueni Prigojine. Selon des sources sur place, Dmitri Sytyi, l’un des cadres du groupe Wagner en Centrafrique, serait ainsi rentré en Russie en début de semaine. Victime en décembre 2022 d’une attaque au colis piégé qui lui avait valu la perte de plusieurs doigts, ce francophone de 34 ans était jusque-là directeur de la Maison russe. Il avait la charge des affaires civiles, de la propagande et des intérêts économiques du groupe. « Vitali Perfilev, le chef des opérations militaires, est en revanche toujours sur place, indique la source diplomatique précédemment citée. Mais pour combien de temps ? » « Les Russes sont maîtres dans l’art de brouiller les pistes, rappelle Nathalia Dukhan. Il y a cinq ans, personne n’aurait prédit qu’ils allaient infiltrer tous les segments de la société. »
Ce départ d’au moins 250 « instructeurs russes », sur un effectif d’environ 1 500 hommes, intervient alors qu’une nouvelle Constitution centrafricaine doit être soumise à référendum le 30 juillet. La principale mesure doit faire passer le mandat présidentiel de cinq à sept ans sans restriction de nombre, et ainsi permettre à Faustin-Archange Touadéra de se représenter en 2025. « Ce référendum peut créer des troubles dans l’arrière-pays, estime un analyste sur place. Mais le départ des hommes de Wagner ne semble pas provoquer d’inquiétude chez les responsables politiques qui refusent toutefois de s’exprimer sur le sujet. En apparence, le gouvernement est focalisé sur le scrutin. Il a déjà pris des mesures populaires en levant le couvre-feu à Bangui et en baissant le prix des carburants. »
Dans l’attente d’éclaircissements en provenance du Kremlin, Faustin-Archange Touadéra, tant pour sa protection personnelle que celle de ce référendum, dont il est le premier promoteur, devrait pouvoir compter sur les troupes rwandaises, toujours déployées au sein des Nations unies mais également dans le cadre d’un accord bilatéral. De leur côté, Paris et Washington espèrent que l’influence sécuritaire et économique de Kigali à Bangui saura convaincre le chef de l’Etat centrafricain de prendre ses distances avec Moscou.
Source: Le Monde