Polémique à la Commission européenne : 5 minutes pour comprendre la nomination de Fiona Scott Morton

July 15, 2023
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Elle a déjà ses détracteurs avant même d’avoir commencé. Mardi dernier, la Commission européenne a annoncé la nomination de l’Américaine Fiona Scott Morton au poste de nouvelle économiste en chef à la Direction générale de la concurrence.

Depuis, les réactions indignées se multiplient, au sein du gouvernement français mais aussi chez les eurodéputés. Ce vendredi, les présidents des quatre plus grands groupes politiques au Parlement européen ont écrit une lettre à la Commission pour lui demander de revenir sur sa décision. Ils se sont vus opposer une fin de non-recevoir. La nouvelle recrue entrera en fonction début septembre.

Étonnement devant la nomination de l'économiste en chef de la direction Concurrence de la Commission européenne.

La régulation du Numérique est un enjeu capital pour la France et pour l'Europe. Cette nomination mérite d'être reconsidérée par @EU_Commission. pic.twitter.com/P2WrtGQFaS — Catherine Colonna (@MinColonna) July 13, 2023

Qui est Fiona Scott Morton ?

Âgée de 56 ans, Fiona Scott Morton est diplômée de la prestigieuse université de Yale - où elle est ensuite devenue enseignante - et a décroché un doctorat au MIT.

Elle a occupé des fonctions de responsable de l’analyse économique à la division antitrust du ministère américain de la Justice, entre mai 2011 et décembre 2012 - sous l’ère Obama - et de consultante pour des grands groupes de la tech comme Amazon, Apple et Microsoft.

« Son CV est impressionnant, elle a développé une expertise incontestable en matière d’encadrement des grandes entreprises numériques », commente Suzanne Vergnolle, docteure en droit et maître de conférences au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). « Ce qui explique pourquoi des économistes considèrent qu’elle est absolument compétente pour ce poste », poursuit-elle. « Sa connaissance précise sur les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, et Microsoft) peut apporter une autre vision sur le sujet », ajoute de son côté Claire Poirson, avocate et fondatrice du cabinet Firsh spécialisé en nouvelles technologies.

Est-ce un poste clé ?

La direction générale de la concurrence, où va travailler Fiona Scott Morton, est chargée de veiller au bon fonctionnement de la concurrence dans l’Union européenne et d’enquêter, notamment, sur les abus de position dominante des géants du numérique - Alphabet (la maison mère de Google), Apple, Meta, Microsoft…

Comme le rappelle Claire Poirson, l’économiste en chef ne dispose « pas de fonction exécutive et a très peu de pouvoir », contrairement au directeur général de l’instance, un poste occupé par le Français Olivier Guersent. Fiona Scott Morton aura essentiellement un rôle d’information et de conseil.

Mais la temporalité de sa nomination rend tout de même son futur rôle important. L’arrivée de l’Américaine se fait dans le contexte de l’adoption très récente du DSA (le règlement sur les services numériques) et du DMA (le règlement sur les marchés numériques), « deux textes qui appellent à une plus grande responsabilité des plateformes et des entreprises », pose Suzanne Vergnolle. Ce qui implique que « les personnes qui rejoignent actuellement la Commission européenne à Bruxelles vont avoir un impact stratégique sur la mise en œuvre » de ces nouvelles règles.

Pourquoi ça fait polémique ?

Deux principaux points sont critiqués. D’une part, sa nationalité. Il est rare que des non-Européens occupent des postes au sein de la Commission, et la présence de Fiona Scott Morton soulève l’inquiétude d’une éventuelle ingérence de Washington. Mais, selon Bruxelles, seules une dizaine de candidatures ont été reçues. Ce qui pose la question des compétences européennes dans le domaine, même si, aux yeux de Claire Poirson, « il y avait beaucoup d’experts » sur le vieux continent « qui pouvaient assurer ces fonctions ».

L’autre inquiétude concerne ses anciens emplois et les risques de conflit d’intérêts qu’ils représentent. « Elle est professeure et chercheuse, pas lobbyiste », tempère Suzanne Vergnolle. « Mais c’est vrai que, dans le passé, il semblerait qu’elle ait travaillé sur des sujets sans déclarer certains liens d’intérêt », poursuit la docteure en droit. Des risques qui ne font qu’augmenter au fil des ans, avec le financement croissant de la recherche par le secteur privé aux États-Unis mais aussi, de plus en plus, en Europe.

Y a-t-il des garde-fous ?

Si la nomination de Fiona Scott Morton soulève de nombreuses inquiétudes, la Commission européenne dispose tout de même de règles sur les conflits d’intérêts. Bruxelles a notamment assuré que la nouvelle recrue ne travaillerait pas sur les dossiers en lien avec ses anciens employeurs, rappelle Claire Poirson. « Et si la Commission a bien un rôle exécutif, la Cour de Justice de l’UE peut venir censurer certaines décisions », poursuit l’avocate. « Il y a un partage des pouvoirs ».

Source: Le Parisien