Au Canada, le projet politique de la Nation métisse de l'Ontario divise

RFI
July 15, 2023
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Éclairage

Composé de territoires et de provinces fédérées, le Canada est aussi peuplé des Premières Nations et des Inuits, mais pas seulement. Les Métis se sont constitués en nations dans certaines provinces. La Nation métisse de l'Ontario, dont la légitimité suscite le débat au sein même des Métis et est rejetée par les autres peuples autochtones, pourrait être la première à voir son droit à l'autogouvernance reconnu par le gouvernement fédéral.

Les dirigeants de la communauté métisse de Huron-Supérieur et de la nation métisse de l'Ontario au lancement d'un projet de logement abordable à Sault Sainte-Marie, le 26 juin. Mitch Case est en gilet noir, à droite.

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De notre correspondant à Montréal,

Mitch Case, barbe rousse fournie et yeux malicieux en amandes, est un artisan métis. Sur sa page Facebook et sur son site internet, il partage sa passion du perlage : il pratique un style traditionnel de perlage floral métis, recouvrant ses vêtements de motifs traditionnels. Loin de se limiter à l'art, le trentenaire est également investi dans la Nation métisse de l'Ontario, dont il est l'un des conseillers régionaux : au Canada, les Métis ne sont pas simplement un mélange ethnique, mais une véritable culture à la croisée des chemins des Premières Nations et des ancêtres colons.

Le gouvernement fédéral a annoncé, en début d'année, vouloir déposer un projet de loi pour enchâsser à la Constitution canadienne le principe d'autogouvernance de la Nation métisse de l'Ontario, qui reconnaît à sa communauté des pouvoirs en termes d'administration et de citoyenneté. « Cela consoliderait des droits pour lesquels nous avons lutté depuis des années », se réjouit Mitch. Le projet pourrait être déposé dans l'année, mais des protestations s'élèvent du côté des Premières Nations et même chez certaines communautés métisses.

Une communauté dans un patchwork

La société canadienne a été et est toujours un projet politique fédéral, à l'origine imposé par les colons anglais, qui tentent de faire tenir entre eux un patchwork de peuples différents. Par exemple, les Inuits et les Premières Nations, comme les Cris ou les Atikamekw, étaient là avant l'arrivée des colons : ils ont obtenu des droits et des pouvoirs politiques sur leurs communautés. Une partie des Québécois se battent encore pour l'indépendantisme, en vertu de leurs origines francophones.

« À l'origine, les Métis ont émergé dans la région de la rivière Rouge au début du XIXe siècle, quand les Canadiens-Français qui travaillaient pour la Compagnie du Nord-Ouest et les Écossais employés de la Compagnie de la Baie d'Hudson se sont mêlés aux Autochtones, comme les Cris », rapporte Francis Lévesque, professeur anthropologue à l'École d'études autochtones de l'université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Les commerçants de fourrures travaillaient alors en étroite relation avec les Premières Nations : contrairement à ce qui a pu exister sur d'autres territoires, ils ne se sont pas fondus dans la culture autochtone, mais ont créé une culture hybride.

Les Métis étaient déjà inclus dans les droits qu'avaient obtenus les Premières Nations, notamment l'article de la loi constitutionnelle de 1982 qui reconnaît « les droits existants – ancestraux ou issus de traités – des peuples autochtones du Canada », comme le droit de chasser. Néanmoins, rien ne définissait le terme « Métis ». Qui était Métis ? En 1993, Steve et Roddy Powley, des Métis, sont inculpés pour avoir chassé l'original sans permis. L'Ontario les poursuit, mais ils plaident non coupables en vertu de cet article. La Cour suprême canadienne leur donnera raison dix ans plus tard, ouvrant la porte à une reconnaissance des droits Métis et établissant le test de Powley pour déterminer si, oui ou non, une personne est issue de la culture Métis.

Des tensions internes et externes

Malgré les avancées, les aspirations de la Nation métisse de l'Ontario ne font pas l'unanimité. Historiquement, les Métis sont surtout concentrés dans le Manitoba, une autre province du Canada. Or, depuis la décision de la Cour suprême, un grand nombre de Canadiens se sont définis comme Métis grâce au test de Powley. « Ceux que l'on appelle les Métis historiques de la Rivière-Rouge ont plusieurs organisations : certaines d'entre elles vont reconnaître les mouvements des Métis au Québec et en Ontario, d'autres, les plus importantes, ne les reconnaissent pas. Beaucoup de leader métis disent que la majorité sont des individus qui s'approprient leur identité », observe Francis Lévesque. La Nation métisse de l'Ontario a voté en mars l'exclusion de 18% de ses membres qui avaient menti sur leurs ascendances pour obtenir notamment des droits de pêche et de chasse.

Pour Mitch Case, la question ne se pose pas : il est Métis, et l'a toujours été, et sa famille l'a élevé comme tel. Sa culture est un mélange d'événements historiques, comme les batailles des Métis contre le projet fédéral au XIXe siècle, d'artisanat, de dialectes et d'une vision du monde particulière. « Historiquement, nos communautés avaient ce que l'on appelle aujourd'hui une vision du monde syncrétique, où elles ne considéraient pas que leur spiritualité indigène traditionnelle et le christianisme s'opposaient l'un à l'autre, mais qu'elles étaient complémentaires », explique le conseiller régional. De la même manière, même si lui ne parle pas le dialecte métis de sa communauté, ses ascendants parlent et parlaient un mélange de français et de langues autochtones.

Les peuples des Premières Nations voient, eux aussi, d'un mauvais œil l'émergence des revendications métisses, qui risquent d'empiéter notamment sur leurs territoires. Des communautés déclarent même qu'aucun Métis n'a vécu sur certains de leurs territoires, de mémoire d'anciens. Pour le conseiller juridique de la Nation métisse de l’Ontario, Jason Madden, interrogé par Radio Canada, la question ne se pose pas : l'entente à venir avec le gouvernement fédéral n'aura pas d'impact sur les accords conclus avec les autres Premières Nations.

Loin de se limiter à ces débats juridiques et politiques, la Nation métisse de l'Ontario tente désormais de consolider les liens dans sa communauté : elle construit des logements abordables et soutient les travailleurs. C'est le plus important, considère Mitch Case : « En dehors de nos responsabilités politiques quotidiennes, nous construisons aussi le premier centre culturel de l'Ontario consacré à la Nation métisse. Ce sera un musée, un foyer pour nos histoires, pour se rassembler, pour célébrer et pour pleurer nos morts. » Le Métis de l'Ontario pense que ce centre ouvrira à l'automne, en espérant qu'il précède de peu l'adoption du projet de loi visant à renforcer les droits de sa communauté.

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Source: RFI