La mort de Patrice Claude, ancien correspondant et grand reporter au " Monde "
Patrice Claude, à Paris, en 2009. MARC CHAUMEIL / FEDEPHOTO POUR « LE MONDE »
Avant de devenir le patron des grands reporters du Monde, le dernier poste de Patrice Claude à l’étranger avait été le Royaume-Uni (1998-2001). Il avait commencé par s’y ennuyer au point de susciter, en sourdine, quelques âcres commentaires à la direction du journal (« Blair et sa “troisième voie”, pfff… ») La politique britannique ne le motivait pas, quand son poste précédent, correspondant en Israël et dans les territoires palestiniens, l’avait passionné.
Soudain, le 16 octobre 1998, tout changeait : l’ex-dictateur chilien Augusto Pinochet était arrêté à Londres. Patrice revivait, travaillait comme un forcené, s’énervait que le journal lui accorde insuffisamment de place pour traiter un événement dont il pressentait qu’il allait « changer le sens de la justice », comme l’écrira plus tard Amnesty International.
Bien qu’il ait labouré plusieurs terrains de conflits armés, Patrice n’était pas, ou plutôt pas seulement, comme d’autres de ses confrères, un correspondant de guerre typique. Mais, indubitablement, il se mobilisait et n’écrivait jamais aussi bien que lorsque l’adrénaline était là.
Le « Richard Gere du métier »
Né à Versailles le 29 décembre 1947, Patrice était une insulte à l’éducation publique. Peut-on avoir une telle plume quand on a quitté l’école à moins de 15 ans ? Son écriture était suave, coulant de source, pas affectée mais harmonieuse. Au mot percutant il préférait le mot juste. Lui-même était l’incarnation de l’autodidacte. Quand on lui demandait si ses périples, de 15 à 20 ans, entre Europe et Amériques, l’avaient formé comme futur reporter, il bougonnait un vague « oui, sans doute ». Cela lui avait appris, disait-il, à refuser l’injustice, celle des voyageurs-ouvriers, des migrants, des saisonniers travaillant dur et si mal rémunérés. Ces années avaient été fondatrices.
Autodidacte, il l’était, mais il avait eu la chance de rencontrer un journaliste qui avait perçu en lui des prédispositions peu communes. Il avait commencé sa carrière par le journalisme boursier. Il en riait encore. Non qu’il n’avait pas su s’y adapter. Mais, à un moment, la finance, so boring ! Ce qui l’intéressait, c’étaient les humains, leurs gloires et leurs turpitudes, leurs bonheurs et leurs insignes souffrances.
Lui-même était souvent grognon, mal luné. Il était aussi la crème des hommes. Hommes ou femmes, tous ceux qui l’ont vu dans les jours précédant sa mort, le 20 avril, à Rognes (Bouches-du-Rhône), lui disaient : « C’est pas croyable, tu es toujours aussi beau ! » Il l’était, au point que certains le surnommaient le « Richard Gere du métier ». Lui, sachant son départ approcher, répétait, encore épaté : « Quel destin, non mais quel destin ! »
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Source: Le Monde