ENTRETIEN. Tour de France 2023 : "On m'a longtemps comparé à Eddy Merckx, mais je veux juste être Peter Sagan", raconte le triple champion du monde, bientôt retraité
Le Slovaque de 33 ans, qui dispute son 12e et dernier Tour de France, prendra sa retraite à l'issue de la saison.
"Je pense que j'en ai fait assez, je vais arrêter avec le cyclisme sur route". Ce sont les mots de Peter Sagan au lancement de ce Tour de France 2023, son 12e et dernier, avant de prendre sa retraite à la fin de la saison. Le Slovaque, passé professionnel en 2010 chez Liquigas, quittera en fin d'année le cyclisme sur route, bardé de victoires (121 au total), lui qui a remporté Paris-Roubaix, le Tour des Flandres, trois fois de suite les championnats du monde (2015, 2016 et 2017), et surtout, sept maillots verts sur le Tour de France, record absolu.
Sagan, qui finira sa carrière dans la formation française TotalEnergies sur un bilan maigre en termes de résultats, laissera une image de "rock star" de peloton, capable de singer la comédie musicale Grease tout comme d'emmener chaque équipe dans son sillage. "Il est très surprenant, anticonformiste. C’est profondément une belle personne et un bel ambassadeur du monde de demain", estime son manager Jean-René Bernaudeau. Le Slovaque, détendu à son hôtel lors de la journée de repos à Clermont-Ferrand, nous a accordé du temps à quelques jours de refermer son histoire avec le Tour.
Peter, vous avez gagné le record de sept maillots verts sur le Tour de France, lequel a une place particulière pour vous ?
Peter Sagan : Je pense que le premier est celui qui m'a procuré le plus d'émotions. En 2012, c'était mon premier Tour, j'ai gagné ma première étape, et donc ce maillot vert. Le premier était dur à gagner, mais je pensais que le deuxième le serait encore plus. Chaque année était différente, certains ont été très durs à gagner, d'autres ont été plus faciles. Lors de certains Tours, j'ai violemment chuté, j'ai dû me battre pour survivre sur le vélo, et battre mes rivaux ou aller dans les échappées pour prendre des points. C'était un gros travail pour les gagner.
En 2017, votre série s'est stoppée à cinq après avoir été exclu du Tour...
Cette année-là, j'avais déjà gagné une étape (la veille à Longwy), mais ils m'ont renvoyé chez moi (il avait tassé Mark Cavendish contre une barrière lors du sprint avant de s'excuser). J'aurais peut-être pu en avoir huit, qui sait ? C'était difficile, mais cela dépend toujours de combien de temps tu veux rester affecté par ça. Je ne suis pas le genre de personne qui va pleurer d'avoir été exclu. Je suis une personne d'action, donc j'ai décidé de partir en vacances ! (rires). J'ai essayé d'oublier ce qui s'est passé, je me suis dit que l'année prochaine serait une autre opportunité.
Quel est votre meilleur souvenir sur le Tour ?
Il y en a beaucoup. Il y a des événements comme ça, avec tout le "cirque" autour, où l'atmosphère est incroyable. C'est aussi pour ça que mon Tour le plus émotionnel était le premier, car tout était nouveau. Si tu enlèves les résultats et les victoires obtenues sur le Tour, je pense que le meilleur moment pour tout le monde, même si tu ne gagnes pas, c'est d'arriver sur les Champs-Elysées, sur le vélo, de voir tout le public. Cette atmosphère à Paris est vraiment spéciale.
Et votre victoire préférée ?
La 11e étape du Tour 2016 est l'une de mes favorites. Je voulais la dédier à mon coéquipier Maciej Bodnar, car il avait fait un gros travail à prendre le vent dans le groupe. Mais Chris Froome a commencé à sprinter pour la victoire. Je suis clairement plus rapide que Froome et Bodnar, donc j'ai sprinté. Nous avions tous collaboré pour pousser le plus loin possible jusqu'à l'arrivée, il y avait le maillot vert et le maillot jaune ensemble. Tout le monde avait des intérêts à y aller, personne ne trichait. C'est pour ça que celle-ci est belle.
Y a-t-il d'autres victoires qui vous viennent en tête ?
J'ai gagné des sprints sur le Tour, mais le premier est toujours spécial. Et je l'ai gagné devant Fabian Cancellara qui avait le maillot jaune ! J'avais 22 ans, c'était mon premier Tour. C'était quelque chose d'incroyable de me battre déjà pour la victoire sur le Tour dès mon deuxième jour.
Et dans votre carrière ?
Les championnats du monde, rien n'est comparable à ça. Le Tour des Flandres et Paris-Roubaix s'en rapprochent, et les étapes du Tour de France sont des victoires spéciales car ça dure pendant 21 jours, avec des hauts et des bas, la montagne, le vent, la pluie, parfois les pavés... Mais définitivement, les championnats du monde, c'est la victoire la plus forte pour moi.
Que retenez-vous de cette victoire aux Mondiaux de Richmond en 2015 ?
J'avais eu une année plutôt mauvaise. Lors de la préparation pour les Mondiaux, j'ai été percuté par une moto, j'ai chuté lourdement et j'ai dû rentrer à la maison. Ensuite, je me suis préparé en altitude, et je suis allé directement à Richmond (Etats-Unis), je voulais vraiment en gagner un. Je n'avais pas couru depuis 3-4 semaines, je ne savais pas à quoi m'attendre. Je me suis dit : 'Allez, c'est la dernière de la saison, on y va !' Et à la fin, j'ai gagné, c'était incroyable.
Vous en avez gagné trois de suite, ce que personne d'autre n'a réussi...
Le suivant à Doha (en 2016), c'était un peu le championnat du monde des sprinteurs. C'était très dur, c'était une année olympique. J'avais fait une bonne saison de classiques. J'avais gagné le Tour des Flandres, le maillot vert, et je me suis préparé pour l'épreuve de VTT aux JO de Rio (35e). J'ai aussi gagné les championnats d'Europe cette année-là, mais j'en voulais plus. Je suis allé à Doha sans pression et sans attente, car j'en avais déjà gagné un. Et j'ai fait le meilleur sprint de ma vie ! (rires)
Le dernier à Bergen (en 2017) était le plus dur à gagner. Trois jours avant la course, j'ai percuté une pizzeria lors d'une séance d'entraînement. Je me suis reposé deux jours, je ne savais pas du tout quoi à m'attendre. A la fin, on était 30 coureurs, et j'ai gagné face à Alexander Kristoff pour quelques centimètres. C'est assez fou, vraiment frénétique.
Vous êtes un coureur au profil unique, est-ce quelque chose que vous souhaitiez laisser ?
Dans le monde, vous ne trouverez pas deux personnes semblables. On m'a longtemps comparé à Eddy Merckx et je réponds toujours que je ne suis pas Merckx. Je ne serai même jamais proche de son niveau. Pour toujours, je veux juste être Peter Sagan. C'est la chose la plus importante dans la vie, d'être soi-même. Si tu veux copier quelqu'un, tu n'arriveras jamais à t'en approcher vraiment. C'est impossible. Tout le monde a plutôt intérêt à être soi-même.
Qu'est-ce que le cyclisme vous a le plus apporté pendant votre carrière ?
Beaucoup d'expérience. Le sport t'apporte beaucoup de choses, avec beaucoup de gens que tu vas rencontrer dans ta carrière. Le plus important pour moi est la discipline, faire ce que tu as à faire. Ta confiance en toi et ton self-control. C'est ce que le sport peut t'apporter, pas seulement le cyclisme d'ailleurs.
Le cyclisme d'aujourd'hui, avec Pogacar, Van Aert, Alaphilippe, est-il aussi plaisant que par rapport à vos débuts ?
Peut-être pour la télévision, oui, pas en tant que coureur ! (rires) C'est super de les voir évoluer, mais désormais, je suis dans une situation où je vois des choses auxquelles je ne suis pas habitué, et ça me va. Il est temps pour moi de me retirer. Le temps passe, de nouveaux coureurs arrivent. Si je gagnais, je pourrais rester dans le cyclisme, mais ça n'a plus de sens pour moi. Chacun doit arrêter à un moment donné.
Quelle a été votre réflexion pour en arriver à prendre votre retraite ?
Ma vie et mes priorités ont beaucoup changé ces dernières années. Je ne veux pas dire que je suis vieux, mais quand j'avais 20 ans, je disais :"Quand j'en aurai 30, je veux arrêter le cyclisme sur route". J'ai 33 ans et je suis encore là, quelque chose ne va pas ! (rires) J'ai poussé un peu derrière la ligne et maintenant c'est terminé. Je n'ai pas eu une carrière classique. Elle a été très intense pendant 14 ans. Ça veut dire que c'est la limite : "Merci beaucoup, mais je voudrais faire autre chose de ma vie".
Quelle sera la suite pour vous à la fin de la saison ?
J'ai commencé par le VTT quand j'étais petit et je m'étais promis de finir avec cette discipline. Peu importe si je gagne, mon objectif pour l'année prochaine c'est d'être aux JO de Paris 2024. En 14 ans, le VTT a beaucoup changé, c'est un bon défi pour moi. Ensuite, on verra comment ça se passe, car je ne sais pas à quoi m'attendre. Ce sera quelque chose de totalement nouveau pour moi.
Source: franceinfo