Jean-Charles Naouri, l’échec d’un génie de la finance

July 17, 2023
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Le 6 juin 1964, le journal Le Monde fait l’éloge d’un jeune homme de 15 ans qui vient de remporter le premier prix de version latine. « Le lauréat est très jeune (il est né le 8 mars 1949) et a toujours obtenu de très brillants résultats dans l’ensemble des disciplines. Il a toujours eu le prix d’excellence », écrit le journal à propos d’un certain Jean-Charles Naouri.

En grandissant, le natif d’Annaba en Algérie (anciennement nommée Bône pendant la colonisation française), continue de collectionner les succès. Admis major à l’École normale supérieure, puis étudiant à Harvard et à l’ENA, le jeune inspecteur des finances est l’un des cadres de la politique économique et sociale du premier septennat Mitterrand, à la tête du cabinet de Pierre Bérégovoy en 1982, d’abord au ministère des affaires sociales puis au ministère de l’économie et des finances en 1984.

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À ce titre, il est à l’origine de la libéralisation des marchés de capitaux en France : fin de l’encadrement du crédit, fin du contrôle des changes et création du marché à terme des instruments financiers (Matif) pour échanger des bons du Trésor, des obligations ou des devises étrangères en limitant les intermédiaires.

Des supermarchés et des poulies bretonnes

Après un rapide passage dans la banque Rothschild & Co après la victoire de la droite aux élections législatives de 1986, Jean-Charles Naouri prend en 1991 les commandes du groupe de grande distribution Rallye, lourdement endetté. Un an plus tard, l’homme d’affaires rapproche sa nouvelle acquisition du groupe Casino dont il devient rapidement l’actionnaire majoritaire.

Pour chacune de ses transactions, le financier utilise toujours le même procédé : les « poulies bretonnes ». Par une cascade de holdings, ce système, promu par le banquier Antoine Bernheim, permet d’acquérir des sociétés en faisant jouer les effets de leviers et en limitant les apports de capitaux personnels. Vincent Bolloré, mais aussi François Pinault ou Bernard Arnault ont usé de ces méthodes pour bâtir leurs groupes.

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Ce procédé fondé sur l’endettement et la croissance externe peut cependant créer des colosses aux pieds d’argile. Dernier exemple en date : le groupe Casino, qui possède les marques Franprix, Monoprix, Géant, Naturalia ou encore Cdiscount, aujourd’hui endetté à hauteur de 6,4 milliards d’euros.

La chute de l’empire Naouri

En 2015, Muddy Waters, un fonds d’investissement new-yorkais, publie déjà un rapport épinglant le modèle économique imaginé par Jean-Charles Naouri. Dans son analyse, l’investisseur américain pointe du doigt le poids « dangereusement élevé » de la dette du groupe. Balayée par Jean-Charles Naouri qui y voit une « campagne de déstabilisation » contre son empire, l’analyse de Muddy Waters se vérifie sept ans plus tard.

En passe d’être racheté par les milliardaires Daniel Kretinsky et Marc Ladreit de Lacharrière, l’empire Naouri a considérablement perdu de sa valeur. L’action du groupe Casino ne pèse plus que 3,14 € le 17 juillet 2023, 20 fois moins qu’en juillet 2015.

Si pendant longtemps Jean-Charles Naouri a pu compter sur sa réputation de génie de la finance, elle s’est peu à peu étiolée. Le 1er juin 2023, son placement en garde à vue, dans le cadre d’une enquête préliminaire lancée par le Parquet national financier (PNF) pour des soupçons de « manipulation de cours en bande organisée, corruption privée active et passive » et « délit d’initié commis courant 2018 et 2019 » a terni encore un peu plus l’image de l’homme d’affaires.

Source: La Croix