Au Maroc, le deuil impossible des proches des disparus d’El Attaouia

July 17, 2023
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Un proche montre un photomontage des disparus d’El Attaouia sur son téléphone. AURÉLIE COLLAS

Sous un soleil de plomb, El Attaouia est silencieuse. Les modestes habitations aux teintes ocre sont fermées. Une brise poussiéreuse venue des terres balaie les rues désertes. En cette journée de juillet, où la température culmine à 46 °C, cette commune de quelques milliers d’habitants, située à 75 km à l’est de Marrakech, semble accablée. A l’image du chagrin éprouvé après la disparition de cinquante et un de ses enfants qui tentaient de rallier clandestinement l’Espagne à bord d’une embarcation.

Ceux-ci ont quitté leurs familles il y a un peu plus d’un mois. Le plus jeune avait 14 ans, le plus âgé 40. Le dernier message reçu par leurs proches remonte à samedi 10 juin, vers 23 heures. Ils se trouvent alors dans un hôtel près d’Agadir et s’apprêtent à monter dans le minibus qui doit les conduire sur la plage où un bateau les attend. Ils doivent prendre le large le dimanche à l’aube pour une traversée de trois jours vers les îles Canaries. Depuis, plus de nouvelles.

On ignore s’ils comptent parmi les victimes de la longue série de naufrages recensés depuis juin entre les côtes marocaines et l’archipel espagnol. Une route migratoire qui, « si elle est empruntée depuis plus de vingt ans, semble de nouveau être un chemin de départ vers l’Espagne en raison du durcissement des contrôles en Méditerranée », observe Mehdi Lahlou, professeur de sciences économiques à Rabat et spécialiste des questions migratoires.

La route de l’Atlantique est aussi considérée comme l’une des plus meurtrières. Pour la seule année 2022, 1 784 personnes y auraient péri, et 778 au cours des six premiers mois de 2023, selon l’ONG espagnole Caminando Fronteras. Elle est également très chère. A El Attaouia, chaque famille a déboursé entre 3 000 et 4 500 euros pour la traversée. Certains ont liquidé leur héritage, vendu leurs terres. D’autres se sont endettés jusqu’à hypothéquer leur maison pour payer les trois passeurs qui opèrent dans la commune depuis trois à cinq ans, selon les témoignages recueillis.

« On leur faisait confiance »

Une larme discrète coule le long de la joue d’Abbas Baghigou, père de Nabil, 18 ans, dont il brandit la photo d’identité. « Les passeurs, on les avait même accueillis chez nous avant le départ. Ils nous avaient assuré que nos enfants arriveraient sains et saufs et qu’ils reviendraient célébrer avec nous leur nouvelle vie en Espagne », raconte cet agriculteur qui a vendu sa seule terre de seize oliviers pour « sauver [son] fils de la pauvreté ». « Ils avaient déjà fait partir beaucoup de gens et il n’y avait jamais eu de problème. On leur faisait confiance. Ils nous ont trahis ! »

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Source: Le Monde