RÉCIT. La Première ministre confirmée par Emmanuel Macron : comment Élisabeth Borne a sauvé sa place
C’est donc par un court communiqué envoyé à plusieurs médias que le maintien d’Élisabeth Borne a été annoncé publiquement. Lundi 17 juillet, vers 19 h 30, un jour avant un dîner à l’Élysée entre Emmanuel Macron et l’ensemble des membres du gouvernement et leurs conjoints.
« L’exécutif doit travailler et préparer la rentrée. Aussi, pour assurer stabilité et de travail de fond, le Président de la République a décidé de maintenir la Première ministre », a indiqué l’entourage du président à plusieurs médias dont Ouest-France. Ces derniers mois, depuis l’impopulaire réforme des retraites, de nombreux échos évoquaient un départ possible d’Élisabeth Borne, un an après son arrivée à Matignon.
Avec ce court message, voilà que se terminent les rumeurs de départs. Élisabeth Borne, deuxième femme Première ministre de l’Histoire, a donc réussi à conserver sa place. Ce 18 mai, cela fait 428 jours qu’elle l’occupe. Mais ce maintien n’annonce en rien un répit pour les prochains mois, tant les obstacles devant elle sont nombreux.
Rumeurs incessantes… et détermination sans faille
Usée par la réforme des retraites et par l’importante mobilisation sociale, Élisabeth Borne est ressortie très fragilisée de cette séquence agitée. « La popularité d’Élisabeth Borne a perdu pas mal de points au moment des retraites, avec une chute à 27 % de bonne opinion en avril 2023. Elle a pâti d’une image négative du fait du recours au 49.3 », du nom de cette procédure permettant d’enjamber le vote des députés utilisée pour la réforme des retraites, rappelle Christelle Craplet, directrice de BVA Opinion.
Après les débats sur la retraite, alors que de nombreux membres de l’opposition appellent à son départ - « Il faut partir Madame », lui lance Marine Le Pen -, (re)naissent alors des rumeurs de remaniement. « Ces rumeurs existent depuis le début des manifestations contre la réforme des retraites », rappelle Bérangère Bonte, journaliste politique, autrice de la biographie Élisabeth Borne, la secrète . « Pendant toute l’année où j’ai travaillé sur cette biographie, on m’a répété de ne pas le faire car dans quinze jour elle ne serait plus là. Elle aurait pu partir en janvier, en mars au moment du 49.3… Le manque de majorité crée une situation confuse et instable donc ça amène à ces rumeurs », ajoute la biographe de la Première ministre.
Quand on surmonte les retraites, on peut résister à tout — Élisabeth Borne, devant les parlementaires de la majorité le 20 juin
Des rumeurs qu’Elisabeth Borne a balayé à plusieurs reprises. « J’ai une feuille de route et je m’y tiens. Il n’est pas surprenant que des gens souhaitent occuper ma fonction », confie-t-elle à Ouest-France fin mai 2023, déterminée à rester en poste. « Madame, je voulais vous demander : est-ce que vos jours sont comptés ? », lui lance une habitante lors d’un déplacement en Normandie le 17 juin, alors qu’un autre ajoute : « Êtes-vous bientôt à la retraite ? ». « Moi, j’avance », leur répond Élisabeth Borne. « Quand on surmonte les retraites, on peut résister à tout, avec sang froid et sérénité », se vante-t-elle auprès des parlementaires de la majorité, trois jours plus tard, le 20 juin.
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Mais les rumeurs continuent tout le mois de juin, alors que l’horizon des « 100 jours d’apaisement », promis par Emmanuel Macron le 17 avril, s’approche. Les noms de Julien Denormandie (ancien ministre lors du premier quinquennat, proche d’Emmanuel Macron), Gérald Darmanin (ministre de l’Intérieur) ou même Gérard Larcher (président LR du Sénat), entre autres, sont avancés pour prendre sa place.
Fin juin, l’actualité tragique écarte un peu l’hypothèse d’un remaniement. Le 27 juin, Nahel, un adolescent de 17 ans, meurt tué par un tir d’un policier à Nanterre. Le début de sept jours d’émeutes dans le pays. Et puis, le calme revient peu à peu… et les rumeurs de départ refont surface.
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Interrogée sur le sujet par Le Parisien le 8 juillet, Élisabeth Borne maintient à nouveau le cap. « J’ai une feuille de route, je délivre et je m’y tiens […] Moi, je ne suis pas dans le commentaire, mais dans l’action », déclare-t-elle, refusant de « commenter les rumeurs ».
Au-delà de ces petites phrases, Élisabeth Borne s’affiche aussi au travail sur plusieurs dossiers clés : réforme de France Travail (qui doit remplacer Pôle Emploi), rencontre avec le patronat et les syndicats, annonces sur la Transition écologique… « Elle a toujours été au travail. Elle a un cap et ces rumeurs dans la presse n’ont pas eu d’impact sur ses objectifs », assure Freddy Sertin, député du Calvados, suppléant d’Élisabeth Borne qui échange « quasi quotidiennement » avec la Première ministre.
Mais les rumeurs sont reparties de plus belle autour du 14 juillet, où l’on imagine une possible prise de parole présidentielle. Prise de parole qui n’aura finalement pas lieu, pas tout de suite en tout cas. Le 17 juillet, l’Élysée fait savoir qu’une expression publique d’Emmanuel Macron aura finalement lieu « d’ici la fin de la semaine ».
« Emmanuel Macron a du mal à lâcher les gens », analyse un député de la majorité
Mais comment expliquer ce maintien alors que selon un sondage BVA de la mi-juin (enquête réalisée en ligne auprès d’un échantillon représentatif de Français de 1 000 personnes), 60 % des Français disaient souhaiter qu’Emmanuel Macron change de Premier ministre ? « Emmanuel Macron, que je connais depuis 2014, n’aime pas faire les choses sous la pression. Ce n’est pas parce qu’il y a ces sondages qu’il va renvoyer Élisabeth Borne », commente le député Renaissance de l’Hérault, Patrick Vignal, auprès de Ouest-France.
De plus, la faible popularité d’Élisabeth Borne a au moins l’avantage de ne pas faire d’ombre au Président. « C’est très frappant de voir que la courbe de popularité d’Élisabeth Borne suit très fortement celle d’Emmanuel Macron. Elle est très associée au Président et n’a pas vraiment de popularité propre. Par rapport à lui, elle ne suscite pas un rejet très fort, ni une adhésion très élevée », analyse la sondeuse Christelle Craplet. Rien à voir donc avec la situation d’Édouard Philippe avant son départ de Matignon, où le Premier ministre apparaissait plus populaire qu’Emmanuel Macron.
Selon Patrick Vignal, un autre trait de caractère d’Emmanuel Macron peut également expliquer le maintien d’Élisabeth Borne à Matignon. « Il a du mal à lâcher les gens. Ça peut être un défaut mais c’est aussi une qualité », confie le député de l’Hérault.
« Au regard des chantiers lancés », son proche, le député Freddy Sertin, ne se dit pour sa part « pas surpris » de voir Élisabeth Borne rester à son poste. « Elle fait le job et a une capacité à supporter des conditions très dures. Emmanuel Macron sait qu’elle peut tout endurer. Et mine de rien, la techno que beaucoup décrivent est plus fine politique que ce qu’on veut bien dire : elle arrive à faire travailler des gens ensemble », donne quant à elle comme explication la journaliste Bérangère Bonte.
De nombreux défis à venir
Assez logiquement, les proches d’Élisabeth Borne saluent l’annonce de ce maintien, expliquant que cela facilitera le travail des prochains mois.
Cette annonce de maintien va apporter beaucoup plus de sérénité dans l’ensemble des cabinets ministériels — Freddy Sertin, député du Calvados et proche de la Première ministre
« Cette annonce va remettre en route la machine d’État qui pouvait être paralysée par des rumeurs persistantes autour du gouvernement et de la Première ministre », s’enthousiasme ainsi auprès de Ouest-France Sacha Houlié, député Renaissance. Le président de la Commission des lois, un de ses « fidèles partisans » salue donc, sans surprise « une très bonne décision ». « Ça va apporter beaucoup plus de sérénité dans l’ensemble des cabinets ministériels avec qui on travaille régulièrement. Il est évident que des membres de cabinets ministériels pouvaient s’inquiéter. On va retrouver de la fluidité et de la sérénité », abonde de son côté le député du Calvados Freddy Sertin.
Car pour Élisabeth Borne, ce maintien permet d’apporter de l’oxygène. Mais un peu d’air seulement. L’annonce, faite un peu en catimini (via un off envoyé aux médias), ne permet pas réellement de conforter une bonne fois pour toutes Élisabeth Borne. Selon Politico , la Première ministre aurait souhaité remettre sa démission et celle du gouvernement afin d’être renommée et gagner en légitimité. Mais le Président a refusé.
Des « ajustements » au gouvernement attendus
Les défis qui attendent la Première ministre sont nombreux. Premier d’entre eux : qui composera le gouvernement ? Lundi 17 juillet, l’entourage de la Première ministre indiquait à l’AFP qu’Élisabeth Borne « souhaite des ajustements » au gouvernement et les proposera « cette semaine ». Reste donc à savoir ce que décideront Élisabeth Borne et Emmanuel Macron. « Visiblement la Première ministre voudrait un mouvement d’ampleur, probablement plus que le Président », a confié un ministre (anonyme) à l’AFP.
« Le débat va être d’avoir une équipe gouvernementale resserrée et soudée avec des ministères qui travaillent ensemble. Elle saura mener ça », ajoute pour sa part le député de la majorité Patrick Vignal, qui dresse le portrait d’une femme « solide, bosseuse, qui n’arrête jamais », lui qui la connaît depuis 2014 lorsqu’elle était directrice de cabinet de Ségolène Royal (alors ministre de l’Environnement).
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Quoi qu’il en soit, le remaniement, annoncé en plein été, ne devrait pas avoir de réels effets politiques. « L’impact sur l’opinion sera très limité. Il n’y a pas une attente très forte des Français », alors que beaucoup sont en congés, explique la directrice de BVA Opinion Christelle Craplet.
Du répit pendant la pause estivale… avant une rentrée tendue
Sauf actualité tragique imprévue, les vacances d’été devraient donc permettre d’apporter un peu de répit au gouvernement, avant une rentrée qui s’annonce tendue. Projet de loi immigration, budget… Deux débats explosifs se profilent à l’Assemblée. Et le manque de majorité absolue à l’Assemblée devrait continuer à compliquer la tâche de la Première ministre. Rendant nécessaire, un « nouveau plan de bataille », pour reprendre les mots de Sacha Houlié, qui assure que « tout est prêt pour poursuivre le travail engagé par la majorité ».
« À l’automne, on va continuer le travail actuellement démarré. Nous nous attacherons à convaincre les députés appartenant à l’arc républicain. On est en majorité relative donc on nous prédisait un blocage législatif avec des travaux parlementaires qui ne pouvaient pas avancer. Mais ce n’est pas ce qu’on a vu les derniers mois », veut croire le député de la majorité Freddy Sertin.
Mais plane toujours, en menace de fond, une motion de censure possible (il faut pour cela que la moitié des députés décident de renverser le gouvernement). Car le principal problème d’Élisabeth Borne ne change pas. À l’Assemblée, la majorité reste relative et donc fragile, ce qui oblige à des négociations permanentes avec l’opposition (particulièrement avec les Républicains) et laisse donc Élisabeth Borne sur un siège plus que précaire.
Source: Ouest-France