Pape en Hongrie : entre Ukraine et migrants, comment François a maintenu un équilibre difficile

May 01, 2023
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Le lieu est l’un des symboles de Budapest. Depuis deux cents ans, la place Kossuth-Lajos a été le théâtre de tous les événements qui ont marqué la capitale hongroise. C’est là que trônent la statue de François II Rakoczi, héros national, mais aussi le mémorial de la révolution hongroise de 1956. Ce dimanche 30 avril au matin, 30 000 personnes sont patiemment assises sur des chaises en plastique, à l’ombre du Parlement et de sa façade néogothique. 20 000 autres se sont massées aux alentours. Les fidèles attendent le pape François, qui termine une visite de trois jours dans ce pays d’Europe centrale, frontalier de l’Ukraine.

Pendant ces trois jours, le 41e voyage apostolique du pape argentin en dehors d’Italie aura été marqué par la proximité de ce conflit. Lui qui, depuis plus d’un an, appelle sans cesse les armes à se taire, demande sans se lasser l’établissement d’un cessez-le-feu et l’ouverture de négociations de paix, quitte à être accusé d’être devenu pro-Moscou, a semblé animé par la même volonté à Budapest, à moins de trois heures de voiture de l’Ukraine et de ses combats.

Une rencontre avec le métropolite Hilarion

Dès son arrivée dans la capitale hongroise, vendredi 28 avril, François a condamné une politique régressant vers « une sorte d’infantilisme belliqueux », qu’il a opposée à la capacité de condamner les « horreurs de la guerre ». « En pensant à l’Ukraine, je pose la question : où sont les efforts créatifs pour la paix ? », a-t-il interrogé. Une manière de critiquer le bloc occidental, à qui le pape reproche régulièrement de nourrir la guerre en envoyant des armes à l’Ukraine. Une position partagée avec le premier ministre hongrois, Viktor Orban, seul dirigeant européen à adopter cette position.

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« Nous sommes encore loin du chemin qui mène à la paix et de la volonté réelle d’arriver au silence des armes. Où est la conscience de la nécessité de ne pas échauffer ou au contraire de refroidir la guerre et les esprits ? », a d’ailleurs interrogé la présidente hongroise Katalin Novak, en accueillant François devant le palais présidentiel.

Le pape est accueilli dans la cour du palais présidentiel, en présence de la présidente hongroise Katalin Novák et du premier ministre Viktor Orban pic.twitter.com/YBDYbDOD8L — LB2S (@LB2S) April 28, 2023

L’Europe, qui ne doit pas promouvoir « une sorte de supranationalisme abstrait », a insisté François, doit plutôt s’efforcer d’« unir ceux qui sont loin, accueillir en son sein les peuples et ne laisser personne être un ennemi pour toujours ». Dans cette claire allusion à la Russie, que le pape n’a pas citée dans son discours, il a ainsi semblé vouloir affirmer en substance qu’il fallait désormais penser à la réconciliation avec le pays agresseur de l’Ukraine.

Il a aussi profité de son voyage pour rencontré, samedi 29 avril, le métropolite de Budapest, Hilarion, qui était jusqu’à juin 2022 le « ministre des affaires étrangères » du patriarche Kirill de Moscou. Ce rendez-vous d’une vingtaine de minutes, qui ne figurait pas dans le programme officiel, a été annoncé par le Vatican.

Le pape François en équilibre

Le pape, critique régulier du commerce des armes, a encore accentué ces objections depuis le début de la guerre en Ukraine. François a semblé afficher son accord avec Viktor Orban, s’entretenant en privé vingt minutes avec lui après lui avoir longuement serré la main dès les premières heures de son déplacement.

Mais cette proximité affichée avec le premier ministre hongrois, dont on admet au Vatican qu’il est devenu plus fréquentable depuis le début de la guerre en Ukraine, ne peut résumer à elle seule les trois jours en Hongrie. Car tout au long de ce voyage, François a semblé sans cesse marcher en équilibre sur un fil tendu entre deux thèmes : la guerre et les migrants. L’un sur lequel le pape et le premier ministre hongrois ont affiché leurs convergences de vue, l’autre que tout sépare.

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Conscient de l’inévitable instrumentalisation, propre à tout voyage de ce type, et dont François assume les risques quand il se rend en Hongrie mais aussi à Bahreïn et à Cuba, il a tenu à s’entretenir avec le maire de Budapest, figure de l’opposition à Viktor Orban. Samedi 29 avril après-midi, il a ainsi reçu Gergely Karacsony à la nonciature, pour une « rencontre privée » ne figurant pas au programme, mais dont le Vatican s’est empressé de faire connaître l’existence.

Et tout au long de la visite, des détails de l’organisation ont rappelé la dureté du pouvoir hongrois. Ce fut le cas à l’église Sainte-Élisabeth, samedi matin, lorsque le pape fut invité à s’adresser aux réfugiés dans un édifice qui n’en accueillait que très peu. « Ils sont en dehors des frontières ! », a indiqué un jeune homme, sur la petite place de cette église, lorsqu’on lui indiquait qu’on cherchait à s’entretenir avec des migrants.

« Il est triste et douloureux de voir des portes fermées »

Ce fut le cas aussi lorsque les journalistes furent empêchés, pendant un temps, d’accéder aux fidèles qui assistaient à la messe célébrée dimanche matin, sur la place du Parlement. « Vous confondez la liberté de la presse et l’absence d’ordre, le chaos », s’est-on entendu répondre.

François a fait entendre sa voix sur les migrants dès le premier jour de son voyage, sans pour autant éviter des accusations d’instrumentalisation par le pouvoir, comme en témoignent les unes des journaux proches du gouvernement tout au long du déplacement. Ou encore cette photo, publiée par le premier ministre sur les réseaux sociaux, sur laquelle figurent le pape et Viktor Orban entouré de sa famille, avec cette légende : « La famille, c’est la famille. » Une provocation assumée, et dénoncée par l’opposition, puisque ce slogan est habituellement utilisé par les associations LGBT.

Devant les dirigeants hongrois, François a eu recours au premier roi du pays, saint Étienne de Hongrie, pour critiquer la politique migratoire la plus dure de l’Union européenne. « C’est pourquoi je te recommande d’accueillir bien volontiers les étrangers et de les considérer avec honneur, afin qu’ils préfèrent rester chez toi plutôt qu’ailleurs. » Ces mots écrits il y a plus de mille ans par saint Étienne à son fils ont semblé vendredi 28 avril adressés directement à Viktor Orban.

Tout de papamobile de la place, avant le début de la messe pic.twitter.com/HkCXudwo6R — LB2S (@LB2S) April 30, 2023

Ses critiques se sont faites plus dures encore, dimanche 30 avril, devant les 50 000 fidèles réunis sur la place Kossuth-Lajos. Jésus, a alors insisté le pape, « nous pousse à aller à la rencontre de nos frères ». Il a encouragé ceux qui l’écoutaient à être « comme Jésus, une porte ouverte ».

« Il est triste et douloureux de voir des portes fermées », a-t-il poursuivi, avant de citer « les portes fermées de notre individualisme dans une société qui risque de s’atrophier dans la solitude », mais aussi celles « de notre indifférence à ceux qui sont dans la souffrance » et « à ceux qui sont étrangers, différents, migrants, pauvres, fermées à ceux qui ne sont pas en règle ». Des propos très clairs, et une réponse à ceux qui l’accusaient d’avoir fait passer son message sur les migrants par pertes et profits.

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Les prochains voyages du pape

De retour de Hongrie, le pape François, 86 ans, qui a révélé avoir eu une « pneumonie très forte » lui valant une hospitalisation fin mars, a évoqué ses prochains voyages.

Il doit d’abord se rendre à Lisbonne (Portugal) pour les Journées mondiales de la jeunesse (JMJ), qui auront lieu du 1er au 6 août.

François a également mentionné sa venue prochaine à Marseille, prévue le 23 septembre pour les Rencontres méditerranéennes, et un voyage en Mongolie.

Source: La Croix