Fran Drescher, inoubliable "nounou d'enfer", est devenue le visage de la résistance aux studios et porte-voix de la grève à Hollywood
Son rôle de nounou haute en couleur dans la célèbre sitcom des années 90, "Une nounou d'enfer", l'a fait connaître dans le monde entier. Présidente du syndicat des acteurs américains, la SAG-AFTRA, Fran Drescher est aujourd'hui leur puissant porte-voix.
La comédienne américaine Fran Drescher incarne depuis le 13 juillet 2023, jour de l'annonce de la grève historique des acteurs américains réunis dans le syndicat SAG-AFTRA (la Screen Actors Guild), un combat social déjà pionnier. En ralliant la grève des scénaristes, ce qui est inédit depuis 1960, les comédiens participent au premier mouvement social d'ampleur dont l'une des revendications principales est liée aux évolutions induites par l'intelligence artificielle sur le marché du travail. La technologie, qui s'invite dans tous les secteurs depuis quelques mois dans l'industrie culturelle, nourrie désormais – à raison selon plusieurs experts – de nombreuses inquiétudes. À Hollywood, les acteurs craignent par exemple que les studios utilisent à l'infini leur image, sans les consulter, en ne les payant que pour sa captation.
"Nous risquons tous d'être remplacés par des machines"
"Si nous ne nous mobilisons pas maintenant, nous aurons tous des problèmes. Nous risquons tous d'être remplacés par des machines et des grandes entreprises qui se soucient davantage de Wall Street que de vous et de votre famille", a insisté Fran Drescher au cours d'un discours remarqué. Une prise de parole pendant laquelle elle a épinglé la cupidité des studios, regroupés au sein de l'Alliance des producteurs de cinéma et de télévision (AMPTP). Des entreprises réticentes, selon Fran Drescher, à faire évoluer les contrats des acteurs alors que la donne a changé depuis des décennies avec la vidéo à la demande.
La problématique a été clairement posée par la comédienne, connue pour son rôle de nounou excentrique au verbe haut et à l'inimitable timbre de voix dans la sitcom à succès Une nounou d'enfer (The Nanny), diffusée à partir de 1993 aux Etats-Unis et deux ans plus tard en France. "On ne peut pas changer le modèle économique (la vidéo à la demande) et ne pas s'attendre à ce que les contrats changent aussi. Nous n'allons pas continuer à apporter des changements à la marge à un contrat qui ne correspond plus à ce qu'il se passe actuellement avec ce modèle économique qui nous a été imposé", a lancé avec véhémence Fran Drescher. "Nous exigeons le respect et d'être honorés pour notre contribution. Vous partagez la richesse parce que vous ne pouvez pas exister sans nous."
Partager les nouveaux profits
La rediffusion des films et séries génère pour les acteurs des revenus qualifiés de résiduels. Les plateformes de streaming en distribuent très peu ou pas, mêmes quand les productions rencontrent un certain succès. En guise de compensation, la SAG-AFTRA a proposé qu'un petit pourcentage des abonnements soit versé aux acteurs. Une proposition sur laquelle les producteurs n'ont pas voulu négocier. Les revenus résiduels sont pourtant décisifs pour les membres de la SAG-AFTA parce qu'ils permettent, par exemple, à la grande majorité de pouvoir bénéficier d'une couverture santé gérée par le syndicat.
Dans un tweet*, la comédienne américaine Jessica Chastain soulignait que "87% des membres de la SAG-AFTRA gagnent moins de 26 000 dollars (23 000 euros) par an. Ils n'ont pas droit à l'assurance maladie". Beaucoup de grandes stars, qui participent depuis plusieurs jours aux piquets de grève devant les sièges des studios, ne manquent pas de souligner que les revendications portées sont cruciales pour les contrats de base, ceux de la plupart des membres de la SAG-AFTRA. D'autant qu'à l’heure actuelle, leurs rémunérations ne tiennent même pas compte de l'inflation alors qu'elles se réduisent de plus en plus avec les plateformes de streaming. Les épisodes des séries étant, entre autres, raccourcis dans les offres de vidéo à la demande.
Dans un entretien accordé à la chaîne américaine MSNBC, Fran Drescher a indiqué que pour La nounou d'enfer, série dont était à l'origine et qu'elle a produite, au moins 22 épisodes étaient tournés par saison. La sitcom, qui en a connu 6, raconte l'histoire d'une jeune femme, Fran Fine, engagée par hasard pour être la gouvernante des trois enfants de Maxwell Sheffield (Charles Shaughnessy), un producteur de comédies musicales veuf. Cette masse critique d'épisodes a permis à tous les acteurs de toucher des revenus sur une période longue. La série a trente ans cette année et continue d'être diffusée.
Rôle sur mesure
Le célèbre générique de La nounou d'enfer a déjà été détourné pour rendre compte du bras de fer dans lequel est engagé la SAG-AFTRA et sa présidente Fran Drescher qui dénonce aussi les revenus astronomiques des dirigeants des studios. "Je suis choqué par la manière dont les personnes avec lesquelles nous avons travaillé nous traitent (...) [Elles] plaident la pauvreté". Les studios affirmant perdre "de l'argent à gauche et à droite alors qu'ils donnent des centaines de millions de dollars à leurs PDG. C'est dégoûtant. Honte à eux", a-t-elle asséné. "Ils sont du mauvais côté de l'histoire en ce moment même. Nous sommes solidaires. Dans une unité sans précédent", a encore ajouté la patronne de la SAG-AFTRA qui ne manque pas de rappeler que c'est la première fois dans l'histoire du syndicat qu'une grève est votée à une si large majorité.
Fran Drescher a été élue à la tête de la SAG-AFTRA le 2 septembre 2021 après un scrutin serré qui a vu sa rivale, Joely Fischer hériter du poste de secrétaire trésorière. Dans une Amérique ravagée par la pandémie et dont l'industrie cinématographique est en souffrance, elle plaide à son élection pour "un front uni" au sein d'un syndicat réputé pour ses divisions internes. Elle n'a aucune expérience syndicale quand elle se lance dans la course pour la présidence de la SAG-AFTRA mais dispose de solides atouts, assure-t-elle à Deadline pour expliquer sa candidature.
La pugnacité d'une "survivante du cancer"
"Grâce à mon parcours personnel de survivante du cancer (de l'utérus), j'ai appris à transformer ma douleur en objectif. J'ai réussi à faire passer un projet de loi sur la santé à Washington par consentement unanime. J'ai été citée deux fois dans le registre du Congrès pour mes efforts et mes réalisations", indiquait-elle à Deadline. La maladie a obligé Fran Drescher à subir une hystérectomie, il y a une vingtaine d'années, et elle s'est engagée dans la sensibilisation ainsi que la prévention au travers notamment de sa fondation Cancer Schmancer, du nom du livre sur son combat contre la maladie publié en 2002. "J'ai également été désignée comme l'un des cinq principaux lobbyistes célèbres de Washington par le Washingtonian, aux côtés de Bono, Jolie, Pitt et Clooney", ajoutait encore la comédienne. En outre, les administrations des présidents Bush (fils) et Obama on fait d'elle l'une de leurs ambassadrices en matière de santé dans le monde.
La bataille que mène aujourd'hui Fran Drescher était prévisible même si la grève n'a jamais été une option souhaitée. "L'avenir de la SAG-AFTRA passe par le streaming. Les membres méritent des contrats plus solides, plus de revenus résiduels, de meilleures protections et la fin de l'exclusivité injuste. Je soutiens 'Unite for Strength', Fran, Anthony et toute leur équipe", avait écrit l'acteur et producteur américain Tom Hanks qui avait soutenu sa candidature à l'époque, rapporte Deadline.
Aujourd'hui, Fran Drescher se retrouve dans la même situation que Ronald Reagan, comédien devenu président républicain des Etats-Unis (élu en 1980 et réélu en 1984), il y a plus de quarante ans : diriger un syndicat en grève. Et le mouvement interpelle déjà les politiques. Fran Drescher a récemment échangé sur la grève des acteurs avec le sénateur indépendant Bernie Sanders qui s'était lancé en 2020 dans la course présidentielle, avant de se retirer et de soutenir la candidature du démocrate Joe Biden.
Dans un des épisodes d'Une nounou d'enfer, Fran – son double fictionnel –, résistait vaillamment à son employeur qui voulait l'obliger à franchir un piquet de grève pour accéder à un restaurant. Un geste immortalisé par la presse dans la fiction et qui fait alors de la nounou la coqueluche des médias.
Des décennies plus tard, mais cette fois-ci dans le monde réel, Fran Drescher se retrouve au cœur d'une grève et de négociations dont l'issue est déterminante pour l'audiovisuel américain et mondial. D'autant que ce mouvement social préfigure les luttes sociales à venir face aux dérives capitalistiques liées aux évolutions technologiques. "Au nom de tous les travailleurs, partout", revendique haut et fort Fran Drescher.
*La plupart des liens de cet article sont en anglais.
Source: franceinfo