Le gouvernement accusé de " détourner " une mesure antiterroriste contre des manifestants européens

July 21, 2023
330 views

Une mesure « détournée » pour éloigner les militants étrangers écologistes et « radicaux » ? Le ministère de l’Intérieur est accusé de multiplier les « interdictions administratives de territoire », initialement prévues pour les djihadistes, afin d’empêcher des citoyens européens de manifester en France. Fin mars, un groupe d’écologistes suisses prend la route de Sainte-Soline (Deux-Sèvres), pour un week-end de contestation des « mégabassines », à l’appel notamment des Soulèvements de la Terre, depuis dissous par le gouvernement.

La veille de la grande manifestation, ils sont arrêtés lors d’un contrôle routier. Quand Lou (prénom modifié) tend sa carte aux gendarmes, « un truc s’affiche sur leur écran », raconte-t-il. « Vous n’êtes pas censé être sur le territoire français », lui dit-on. Le militant de 24 ans découvre qu’il fait l’objet - depuis la veille - d’une « interdiction administrative de territoire » car sa présence en France « constituerait une menace », l’informe-t-on.

Les manifestants, des « combattants terroristes étrangers » ?

Il n’en saura pas plus mais passera quatre nuits en cellule. Expulsé en avion, menotté et escorté par trois policiers, jusqu’à l’aéroport de Genève, il est remis à la police suisse qui se contente de l’accompagner à la sortie. « Ils me disent "nous, on n’a rien contre vous, bonne journée" ». La mesure qui l’a visé est issue d’une loi antiterroriste de novembre 2014, alors destinée à empêcher les départs vers l’Irak et la Syrie de jeunes Français candidats au djihad.

Ajoutée au texte pendant son examen, l’interdiction « d’entrée » sur le territoire français vise les « combattants terroristes étrangers ». Elle peut être prononcée à l’encontre d’un ressortissant d’un pays de l’Union européenne « lorsque sa présence en France constituerait, en raison de son comportement personnel, du point de vue de l’ordre ou de la sécurité publics, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société ».

Un dispositif « liberticide » ?

Et elle doit être motivée, sauf « si des considérations relevant de la sûreté de l’Etat s’y opposent ». Cette mesure « très restrictive » ne visait « que les terroristes islamistes », assure Camille Escuillié, avocate en droit des étrangers. Plusieurs avocats accusent pourtant le gouvernement d’abuser de ce dispositif « liberticide », réservé à des gens « extrêmement dangereux », pour écarter ses opposants politiques, résume l’une d’eux, Camille Vannier.

Début juin, Gérald Darmanin annonçait sur Twitter « 17 interdictions » à l’encontre « de membres de l’ultragauche venus de l’étranger » à Paris, pour les dix ans de la mort du militant antifasciste Clément Méric tué sous les coups de skinheads d’ultradroite. Deux semaines plus tard, le ministre de l’Intérieur se félicitait que « 96 ressortissants étrangers, connus des services » aient été « refoulés à la frontière » avant une manifestation contre la liaison TGV Lyon-Turin.

Interrogation sur la « légalité » de ces mesures

Le ministère a « toujours utilisé cet outil dans le cadre de la prévention du terrorisme » mais aussi « de longue date pour prévenir l’ordre public : lorsque des manifestations à risque sont prévues, que la participation d’activistes violents en provenance de l’étranger est détectée », assure une source sécuritaire interrogée par l’AFP. « Et toujours de manière individuelle et ciblée ».

Une affirmation qui laisse sceptiques Mes John Bingham, Fayçal Kalaf, Amid Khallouf, Alexandre Maestle et Camille Vannier, qui préparent des recours pour environ 25 Italiens interdits de territoire, dans l’espoir qu’un juge reconnaisse « l’illégalité » de ces mesures. Lucas fait partie des « ressortissants italiens » refoulés à la frontière avant la manifestation contre la ligne TGV. Le jeune homme, qui étudie en Italie, est pourtant français. Il a eu beau brandir sa carte d’identité devant les gendarmes, rien n’y a fait.

Des abrogations la veille des procès

Il conteste cette étonnante interdiction de territoire devant le tribunal administratif. Mais la veille de l’audience, l’Intérieur abroge la mesure, et les chances de débattre du sujet devant la justice. « Il ressort d’informations recueillies postérieurement que M. Lucas X est un ressortissant français », est-il écrit dans ce document consulté par l’AFP.

« Cela fait douter du "travail de renseignement" fait en amont », grince son avocat, John Bingham, soupçonnant des arrêtés « pris opportunément à la frontière ». Interrogé par l’AFP, le ministère de l’Intérieur indique viser les personnes en fonction des « renseignements » glanés sur eux et de leurs « antécédents ». Mais les arrêtés consultés par l’AFP sont étrangement identiques, hormis les noms et dates de naissance…

Source: 20 Minutes