Avec " Black Lights " à Avignon, Mathilde Monnier donne corps à la rage des femmes

July 21, 2023
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« Black Lights », de Mathilde Monnier, au Festival d’Avignon le 19 juillet. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE/FESTIVAL D’AVIGNON

Ça fume, ça brûle, ça enrage, ça ne décolère pas. La bande de femmes assises sur des bancs en a plus que gros sur le cœur. Il y a celle qui se sent obligée de sourire à son vieux prof qui ne pense qu’à ça, l’autre en train de se faire baratiner par un petit chef sexiste qui la veut perchée sur ses talons, une troisième qui se retrouve tabassée et aspergée d’essence par son mec. Ça vous rappelle quelque chose ? Cela vous est arrivé ou ça s’est passé tout près de chez vous. La menace plane à chaque coin de rue.

Le plateau ressemble à un champ calciné parsemé d’énormes racines d’oliviers. Black Lights, nouvelle pièce de la chorégraphe Mathilde Monnier, créée le 22 juin au festival Montpellier Danse, répand son goût de cendres. Dans l’espace minéral du cloître des Carmes, ce plaidoyer féministe âpre et tendu se charge d’une électricité nouvelle. Il s’est aiguisé et explose en mille éclats coupants. Il s’empare de textes de la série H24, imaginée et réalisée par Valérie Urrea et Nathalie Masduraud, pour Arte.

Des 24 récits commandés à 24 écrivaines internationales dont Siri Hustvedt, Fabienne Kanor ou Ersi Sotiropoulos (également publiés par Actes Sud/Arte en 2021) Mathilde Monnier en a extrait une dizaine qu’elle confie à huit danseuses comédiennes de différents âges et nationalités.

Prise de parole frontale

Et qu’est-ce qu’elles arrachent ! Le regard planté dans celui des spectateurs, elles braquent et flanquent leurs témoignages sur scène sans précaution. Il peut s’agir de détails apparemment anodins ou d’accès de brutalité directe, de drague appuyée à du viol en douce. L’une sourit bêtement à un compliment « parce que depuis toujours les femmes sourient quand on leur dit qu’elles sont jolies… » comme le souligne Agnès Desarthe ; l’autre obéit à son entraîneur qui tutoie trop vite et chuchote bientôt ses ordres « parce qu’on forme une équipe, une famille », sous la plume de Lola Lafon. Chaque histoire contient sa dose d’humiliation, de détresse et de culpabilité.

Mathilde Monnier dénonce un système que l’on connaît par cœur et par corps, dont on a tellement intériorisé le fonctionnement et les ressorts qu’on a du mal à s’en extraire. L’analyser et le formuler ne fait pas voler en éclats la chape d’asservissement, de soumission, de peur plus ou moins avouée, d’obéissance qui enferme et étouffe. Il n’empêche que la prise de parole frontale et publique est un porte-voix magnifique pour toutes celles qui ne peuvent l’ouvrir. La colère évacuant momentanément l’impuissance, elle libère une énergie compensatrice. Entendre hurler, juste avant qu’elle ne soit virée de son boulot, une des femmes qui ne veut pas se faire marcher sur ses « Derby » est un plaisir réparateur.

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Source: Le Monde