En 1991, Depardieu version Cyrano à la conquête de l’Amérique : c’est un pic, c’est un cap, c’est une catastrophe

July 21, 2023
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Enquête« Le cas Depardieu » (5/6). Au début des années 1990, l’acteur tente l’aventure hollywoodienne, porté par le succès du film de Jean-Paul Rappeneau qui adapte les aventures du Gascon au nez proéminent. Le succès lui tend les bras, mais ses déclarations sur des viols commis dans sa jeunesse vont brutalement mettre fin au rêve américain.

« Girard Déperdié », « Jeurard Dipardiou », « Gérrard Dopardio ». Jamais ce nom tellement français n’a été prononcé avec autant d’accents. La Chèvre (1981) ou Les Compères (1983), les comédies populaires de Francis Veber, ont déjà fait connaître l’acteur à l’étranger, mais rien n’est comparable au succès international de Cyrano de Bergerac. C’est comme si le monde s’ouvrait soudain devant lui. Avant de se refermer, brutalement.

Le film sort le 28 mars 1990 en France et, dès le mois suivant, Depardieu et le cinéaste Jean-Paul Rappeneau sont invités partout en Europe, mais aussi en Asie et en Amérique. « Une tournée des grands-ducs », dit en riant Depardieu, qui présente le film dans des dizaines de capitales. Quelques minutes après le début de chaque projection, n’en pouvant plus de revoir Cyrano, l’acteur et son réalisateur s’éclipsent pour boire un verre. Comment ne pas constater que ce Gascon défiguré par son nez, qui parle en alexandrins et se bat à l’épée, est devenu un héros universel ?

En Europe centrale, où le rideau de fer s’est effondré un an plus tôt, c’est un triomphe. En Pologne, la télévision filme des spectateurs émus aux larmes par le romantisme d’un amoureux sans espoir. Les Tchèques raffolent de ses rodomontades, restituées par les meilleurs traducteurs du pays. L’acteur rejoint dans le cœur des Russes les superstars françaises que sont Alain Delon et Pierre Richard. En Inde, où la vie paraît pourtant si loin de ce cabotin tellement français, on a rarement vu un tel succès dans les salles de Calcutta et de New Delhi. Cyrano sort à Montréal en pleine crise politique entre indépendantistes du Québec et fédéralistes canadiens. A chaque projection, le public fait une ovation au Gascon lorsqu’il se jette dans la bataille avec ses cadets : il faut dire que le drapeau à fleur de lys qu’ils brandissent ressemble furieusement à celui du Québec…

Prendre la mesure du phénomène

Un autre enjeu surgit en septembre 1990, lors du Festival de Toronto (Ontario), sorte d’antichambre canadienne des Oscars. « Le présentateur a introduit la projection en disant : “Voici le prochain Oscar du film étranger” », se souvient Jean-Paul Rappeneau. Conquérir les Etats-Unis est le Graal de tout réalisateur et la possibilité pour un comédien d’y entamer une carrière. Mais Depardieu veut-il vraiment s’installer à Hollywood, lui que Los Angeles, ses autoroutes et ses artifices dépriment ?

Gérard Depardieu, au Lincoln Center de New York, le 22 septembre 1989. RON GALELLA, LTD./RON GALELLA COLLECTION VIA GETTY

Cyrano s’affiche, le 1er décembre 1990, sur les écrans américains, suivi, la veille de Noël, par Green Card, toujours avec Depardieu, une comédie romantique de l’Australien Peter Weir. Ce dernier est l’un des réalisateurs les plus courtisés à Hollywood depuis le triomphe mondial de son Cercle des poètes disparus (1989). Tourner sous sa direction constitue une occasion exceptionnelle, d’autant que le rôle a été écrit sur mesure pour Depardieu. Il incarne un « Frenchy » amateur de bonne bouffe qui contracte un mariage blanc avec une New-Yorkaise végane, jouée par Andie MacDowell, dans le but d’obtenir cette fameuse « carte verte », le titre de résident permanent aux Etats-Unis dont rêvent les immigrés.

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Source: Le Monde