En Inde, une vidéo abjecte contre des femmes ravive les violences dans le Manipur
Manifestation contre les violences sexuelles et pour la paix dans l’Etat du Manipur, au nord-est de l’Inde, à New Delhi, le 20 juillet 2023. ARUN SANKAR / AFP
Le conflit interethnique entre les Meitei et les Kuki, qui ravage depuis trois mois le Manipur, dans la région tribale du nord-est de l’Inde, a basculé, mercredi 19 juillet, dans le sordide. Une vidéo postée sur les réseaux sociaux montre deux femmes de la tribu des Kuki, exhibées nues, traînées dans un champ, molestées par une foule d’hommes armés, des Meitei, l’ethnie dominante. Les faits se sont produits le 4 mai, dans le district de Kangpokpi, au lendemain de l’explosion de violence dans cet Etat, et ont été révélés tardivement, sans doute en raison de la coupure d’Internet ordonnée par les autorités. Une troisième femme, âgée de 21 ans, a subi un viol collectif. Son frère et son père ont été tués par les assaillants.
Ces femmes avaient tenté de fuir leur village assiégé par des Meitei. Elles accusent la police de ne pas les avoir protégées et de les avoir livrées en pâture à la foule. Elles ont porté plainte le 18 mai. La police n’a rien fait pendant soixante-deux jours, jusqu’à la diffusion de la vidéo. La veille de cette agression, le 3 mai, ce petit Etat de 3,7 millions d’habitants situé à la frontière de la Birmanie s’était littéralement embrasé après la décision d’un tribunal donnant satisfaction aux Meitei, majoritairement hindous, installés dans la vallée agricole d’Imphal, qui représentent 53 % de la population dans le Manipur.
Ces derniers demandaient depuis des années d’être inclus dans la liste officielle des « tribus répertoriées », une désignation réservée jusque-là aux Naga et aux Kuki, essentiellement chrétiens, mais aussi juifs, résidant dans les collines et représentant environ 40 % de la population. Cette classification, accordée aux populations tribales isolées, confère des quotas d’emplois dans l’administration et des places dans les universités publiques, un avantage certain dans cet Etat où les postes publics constituent la principale source d’emploi. Les Kuki redoutent que les Meiteis viennent remettre en cause leurs droits fonciers et soient désormais autorisés à acquérir des terres dans leurs collines.
Kuki stigmatisés
Officiellement, les affrontements entre Meitei et Kuki ont déjà fait 150 morts, 60 000 déplacés, dont une bonne partie vit dans des camps bondés, et détruit des milliers de biens, maisons, églises, magasins. Les habitants évoquent un bilan beaucoup plus lourd – au moins 300 décès. Depuis près de trois mois, le Manipur est au bord de la guerre civile et le déploiement de l’armée n’a rien changé.
L’émoi suscité par la vidéo a conduit le premier ministre à sortir du silence. « Mon cœur est rempli de douleur et de colère. L’incident du Manipur est une honte pour n’importe quelle société civilisée. Cela fait honte à toute la nation. Les coupables ne seront pas épargnés », a promis Narendra Modi lors d’une intervention devant le Parlement. Mais il s’est bien gardé d’endosser une quelconque responsabilité dans la crise, alors que le Parti du peuple indien (BJP, au pouvoir) gouverne cet Etat. Narendra Modi s’était contenté de dépêcher son ministre de l’intérieur, Amit Shah, connu non pas pour ses talents de pacificateur mais pour ses capacités à polariser.
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Source: Le Monde