Au Tchad, les réfugiés soudanais témoignent des horreurs au Darfour : " Personne n’a été épargné "

July 21, 2023
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Des réfugiés soudanais font la queue lors d’une distribution de rations du Programme alimentaire mondial à Adré, au Tchad, le 20 juillet 2023. ZOHRA BENSEMRA / REUTERS

Un semblant d’apocalypse règne à la frontière entre le Tchad et le Soudan. Sous un ciel orageux, d’interminables colonnes de réfugiés franchissent à pied le maigre cordon qui sépare les deux pays. Leurs sandales s’enfoncent dans le sol détrempé sous le regard vigilant de l’armée tchadienne. Depuis le 15 avril et le début de la guerre qui oppose l’armée soudanaise, menée par le général Al-Bourhane, à la milice des Forces de soutien rapide (FSR), du général Daglo dit « Hemetti », le Tchad a laissé ouvert un corridor humanitaire. Seuls les bagages sont contrôlés.

« Jusqu’à 2 000 personnes arrivent chaque jour pour fuir les atrocités de la guerre », indique le colonel Ali Mahamat Sebey. Ce 10 juillet, le préfet du département d’Assoungha scrute d’un œil inquiet le dernier point de contrôle tenu par les FSR, à moins de 400 mètres. La guerre est si proche qu’on entend quelques détonations, parfois le sifflement d’une balle.

« J’ai couru trente kilomètres en portant le corps de mon fils de 2 ans pour l’enterrer ici. Pendant qu’on fuyait, nous avons croisé des véhicules d’hommes en armes qui nous tiraient dessus. Les gens tombaient. On ne pouvait plus compter les morts et les blessés », témoigne Anane Kamis Ahmat, drapée dans un tissu aux motifs fleuris, avant d’embarquer dans un camion du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) qui la transportera loin de l’horreur.

« Ils ont massacré sans pitié les femmes, les enfants, les vieillards et même le bétail, personne n’a été épargné. D’Al-Geneina jusqu’ici, j’ai vu des corps partout sur la route. Ce sont les hommes de Hemetti qui ont fait ça, et aussi les milices arabes qui sont leurs alliées. Ils ont mitraillé les civils sans défense qui voulaient se sauver », raconte une jeune mère, Nadia Ahmat Abdraman, en serrant son nourrisson dans les bras.

« Une guerre dans la guerre »

Comme l’immense majorité des réfugiés arrivés au Tchad, ces deux femmes ont fui Al-Geneina, la capitale du Darfour occidental. Tandis que l’armée soudanaise concentrait ses efforts sur Khartoum, les FSR, appuyées par les milices arabes, ont lancé, comme le disent les humanitaires sur place, une « guerre dans la guerre » dans l’ouest du Soudan. Depuis, le conflit avec les groupes d’autodéfense massalit a pris la forme de massacres à caractère ethnique. Une nouvelle fois.

« Ils s’en prennent aux Noirs. Ils ciblent les Massalit en particulier et ceux qui ont le teint foncé en général. Les Arabes au teint clair, ils les épargnent. Ils veulent anéantir les ethnies noires, c’est leur objectif depuis 2003. Ils ont décidé de finir ce qu’ils avaient commencé », accuse Hissein Sahat Ahmat, un réfugié, des larmes plein les yeux. Les groupes d’autodéfense massalit, l’ethnie non arabe majoritaire dans cette région, avaient déjà pris les armes contre le pouvoir d’Omar Al-Bachir en 2003. Quelque 300 000 morts plus tard, selon les Nations unies, et des accusations de « génocide » par les Etats-Unis, la plupart des experts s’accordent à dire que le scénario se répète au Darfour.

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Source: Le Monde