Ces Chinois qui refusent de rembourser leurs prêts immobiliers
Zhengzhou (Chine) (AFP) – Un bel appartement et la promesse d'un bon mariage: c'est ce qu'espérait Gao Zhuang en 2019 quand il a placé presque toutes ses économies dans un logement neuf acquis pour son fils à Zhengzhou, dans le centre de la Chine.
Vue aérienne du complexe d'immeubles résidentiels inachevés de Xinzheng City, le 20 juin 2023 à Zhengzhou, dans la province chinoise du Henan
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Quatre ans plus tard, le chantier est à l'arrêt, alors cet ouvrier de 49 ans a pris une décision radicale: il ne rembourse plus son prêt immobilier.
"La principale victime, c'est mon fils", soupire M. Gao, qui a demandé à ce que son nom de famille soit changé pour éviter des représailles.
"Comment va-t-il pouvoir se marier sans son propre logement?", s'interroge-t-il. L'appartement, qui coûte 1,2 million de yuans (150.000 euros), aurait dû être achevé en deux ans à Zhenghou, une ville de 12,6 millions d'habitants.
Comme lui, nombre d'acquéreurs ont perdu patience, alors que la crise immobilière a gelé les chantiers, les promoteurs manquant de fonds pour terminer le travail.
Ayant peu de recours possibles devant la justice, ils ont choisi de faire grève des traites mensuelles, un phénomène qui a rapidement fait boule de neige à travers le pays l'été dernier et qui incommode le gouvernement chinois.
Un immeuble du complexe résidentiel inachevé de Xinzheng City, le 20 juin 2023 à Zhengzhou, dans la province chinoise du Henan © Pedro PARDO / AFP
Les problèmes dans l'immobilier, secteur-clé pour la deuxième économie mondiale, ont brutalement fait surface en 2020, quand les autorités ont dit stop à l'emprunt excessif et à la spéculation.
Privés d'un accès facile au crédit, les promoteurs ont vite croulé sous les dettes tandis que la demande en logements se tarissait, en pleine pandémie de coronavirus.
Murs qui s'effritent
La crise de l'immobilier a fait la une des journaux par son ampleur, notamment quand le géant du secteur Evergrande a évité de justesse la faillite puis annoncé un grand plan de restructuration.
Le promoteur régional chargé de construire le logement de M. Gao, Henan Jin'en Immobilier, n'est pas coté en Bourse, ce qui empêche de connaître sa véritable situation financière.
Des ouvriers font des réparations sur la façade d'un appartement du complexe résidentiel inachevé de Xinzheng City, le 20 juin 2023 à Zhengzhou, dans la province chinoise du Henan © Pedro PARDO / AFP
Le groupe n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP.
Dans le lotissement dont devait faire partie l'appartement de M. Gao, une centaine de logements sont inachevés... et nombreux sont les acquéreurs à se plaindre de la qualité de ce qui a déjà été construit.
Lors d'une visite en juin, des journalistes de l'AFP ont constaté que certains murs extérieurs s'effritaient et que d'autres, dont pendaient des fils électriques, étaient troués.
Quelques ouvriers étaient certes présents sur le chantier, creusant des tranchées ou empilant des parpaings, tandis que le bruit de machines au travail résonnait dans plusieurs constructions.
Des ouvriers empilent des parpaings pour construire un mur extérieur dans le complexe d'immeubles résidentiels inachevés de Xinzheng City, le 20 juin 2023 à Zhengzhou, dans la province chinoise du Henan © Pedro PARDO / AFP
Mais certains acheteurs affirment que c'est une mise en scène et que le promoteur a embauché quelques personnes pour justifier un possible renflouement par le gouvernement.
L'un d'eux estime que les autorités locales sont incapables de l'obliger à terminer le chantier.
Et au final, "ce sont les gens ordinaires qui en souffrent le plus", dit cet homme d'une quarantaine d'années qui regarde la structure en béton d'un appartement en construction.
Un homme devant la palissade métallique entourant le complexe résidentiel inachevé de Xinzheng City, le 20 juin 2023 à Zhengzhou, dans la province chinoise du Henan © Pedro PARDO / AFP
"Je ne blâme pas le promoteur, je blâme le gouvernement", ajoute-t-il. "Certaines personnes ici croient encore en notre gouvernement, mais je pense qu'il ne mérite pas notre confiance".
"Aucune confiance"
M. Gao a arrêté en janvier de payer sa mensualité de 5.000 yuans (environ 625 euros), se joignant au boycott mené par d'autres acheteurs du lotissement.
Il a tenté, en vain, d'obtenir un dédommagement pour les nombreux retards du chantier.
Un homme dans un appartement du complexe résidentiel inachevé de Xinzheng City, le 20 juin 2023 à Zhengzhou, dans la province chinoise du Henan © Pedro PARDO / AFP
"Leur attitude a été de dire +Si ça ne vous plaît pas, faites-nous un procès+", s'indigne M. Gao auprès de l'AFP.
"Mais ils savent qu'en Chine, les gens comme nous ont rarement les moyens de faire un procès".
D'autres sont simplement découragés.
"Cela ne sert à rien d'être en colère, car il n'y a rien que je puisse faire", admet M. Wang, un acheteur de 24 ans s'exprimant sous pseudonyme.
M. Wang devant un immeuble en construction dans le lotissement où il a acheté un appartement, le 2 juin 2023 à Ningbo, dans la province chinoise du Zhejiang © Hector RETAMAL / AFP
Gérant d'une boutique en ligne, il avait investi dans la construction d'un appartement dans la riche ville de Ningbo (9,6 millions d'habitants), pour 690.000 yuans (86.000 euros).
Il a signé en 2021, mais le chantier a été arrêté quelques mois plus tard.
Sur place, l'AFP a découvert des tas de terre, des engins de construction poussiéreux, une dizaine d'ouvriers et un immeuble encore très loin d'être fini.
M. Wang dit n'avoir "aucune confiance" dans la dernière promesse qu'on lui a faite, que son appartement serait prêt d'ici fin août.
Des ouvriers sur le chantier d'un immeuble en construction, le 2 juin 2023 à Ningbo, dans la province chinoise du Zhejiang © Hector RETAMAL / AFP
"Après ça, je n'achèterai plus jamais de maison qui ne soit pas déjà finie", assure-t-il.
"Et je ne croirai rien de ce que disent le gouvernement et les autres".
Question sensible
Pour les autorités chinoises, le sujet est devenu un véritable casse-tête.
Récemment, elles ont tenté de donner un coup de pouce au secteur, en réduisant les taux hypothécaires, en allégeant les formalités et en offrant davantage de prêts aux promoteurs.
M. Wang dans le lotissement en chantier où il a acheté un appartement, le 2 juin 2023 à Ningbo, dans la province chinoise du Zhejiang © Hector RETAMAL / AFP
Mais les analystes préviennent que la marge de manoeuvre est réduite, alors que le surendettement menace les promoteurs détenus par l'Etat et les finances de villes de plus en plus importantes.
Le pronostic pour l'immobilier en Chine est "désastreux", estimaient en juin, dans une note, les experts de la banque japonaise Nomura.
La question est sensible pour le gouvernement, qui a fait de la stabilité sociale une priorité. Ces derniers mois, les autorités de plusieurs régions ont tout fait pour faire taire les plaintes des acheteurs concernant leurs logements inachevés, selon plusieurs d'entre eux contactés par l'AFP.
M. Gao et M. Wang disent tous deux avoir été contactés par des agents officiels pour les dissuader de signer une pétition adressée au gouvernement ou de parler aux médias.
De nombreux autres disent avoir reçu des appels de la police et craignent d'avoir été espionnés sur les discussions privées auxquelles ils participent sur les réseaux sociaux.
M. Wang dans le lotissement en chantier où il a acheté un appartement, le 2 juin 2023 à Ningbo, dans la province chinoise du Zhejiang © Hector RETAMAL / AFP
Un administrateur d'une de ces discussions, qui avait d'abord accepté de parler à l'AFP, a brutalement changé d'avis. "Je n'ai rien à dire sur le sujet", a-t-il justifié, "l'Etat contrôle cela de très près maintenant".
© 2023 AFP
Source: FRANCE 24