Pourquoi le Sahara occidental est au centre de la diplomatie marocaine depuis quarante-huit ans

July 24, 2023
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A Guerguerat, au Sahara occidental, en novembre 2020. FADEL SENNA / AFP

L’officialisation par Israël, le 17 juillet, de sa reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental est la dernière étape du processus de normalisation des relations entre les deux pays. Prolongement maghrébin des accords d’Abraham, la décision du royaume chérifien d’établir des relations diplomatiques avec Tel-Aviv en décembre 2020 s’inscrivait dans un « deal » triangulaire avec les Etats-Unis, ces derniers reconnaissant la « marocanité » de l’ancienne colonie espagnole en échange du geste marocain. Tel-Aviv leur emboîte désormais le pas, parachevant la dynamique du rapprochement bilatéral. Israël peut maintenant compter au Maghreb sur une alliance de fait avec le Maroc, lequel a érigé en cause nationale la légitimation de sa souveraineté sur ce qu’il nomme ses « provinces du sud ».

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L’ex-colonie espagnole et ses 266 000 km2 de paysage désertique sont aujourd’hui encore considérées par l’ONU comme un « territoire non autonome ». Depuis 1975, le Maroc et les indépendantistes du Front Polisario s’en disputent la souveraineté. Si le Maroc contrôle 80 % du territoire, le Polisario appelle à la tenue d’un référendum d’autodétermination, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, et a formé une « République arabe sahraouie démocratique » (RASD). Celle-ci est abritée dans les camps de réfugiés de Tindouf, dans l’ouest de l’Algérie, pays qui lui fournit une aide politique et militaire.

Après les affrontements déclenchés par le départ du tuteur espagnol, en 1975, la situation sécuritaire s’était stabilisée dans la foulée d’un cessez-le-feu conclu en 1991 sous l’égide de l’ONU. L’accalmie a toutefois été rompue fin 2020 lorsque les forces marocaines ont pénétré dans la zone de Guerguerat, un espace tampon sous contrôle du Polisario. Depuis, la frontière est redevenue volatile, théâtre d’escarmouches meurtrières.

Pour la monarchie marocaine, la reconnaissance de sa souveraineté sur ce territoire est avant tout symbolique. Se prévalant de l’allégeance historique des tribus locales à l’empire alaouite, Rabat considère le Sahara occidental comme sien. « La lutte du Sahara occidental devient progressivement un levier de nationalisme marocain pour la monarchie », explique Luis Martinez, directeur de recherche à Sciences Po et spécialiste de l’Afrique du Nord. Portée dans un premier temps par les partis nationalistes, la cause a ensuite été saisie par le palais. Sous l’impulsion du roi Hassan II, en 1975, la « marche verte » avait mobilisé 350 000 Marocains pour rejoindre la zone disputée. « L’ensemble de la population marocaine considère le Sahara comme faisant partie du Maroc », prévient le journaliste espagnol Ignacio Cembrero, d’El Confidencial, très bon connaisseur du royaume chérifien. Rares sont les voix dissonantes à se faire entendre publiquement au Maroc sur cette question.

Un positionnement français ambigu

En revanche, sur la scène africaine, le consensus est encore loin d’avoir été trouvé. En 1984, sous le règne d’Hassan II, le Maroc avait quitté l’Organisation de l’unité africaine (OUA, ancêtre de l’Union africaine) à la suite de la décision de cette dernière d’admettre la RASD comme « membre », un statut qui revient à lui reconnaître la qualité d’Etat souverain. Trente-trois ans plus tard, en 2017, son fils, le roi Mohammed VI, avait changé de stratégie diplomatique, choisissant de réintégrer les instances de l’Union africaine (UA) pour faire accepter son plan d’autonomie. « Il a paru contradictoire d’être influent en Afrique tout en étant absent de l’UA », analyse Khadija Mohsen-Finan, politologue spécialiste du Maghreb et du monde arabe.

L’« appel de Tanger », lancé fin 2022 pour plaider l’exclusion de la RASD de l’UA auprès de ses alliés, illustre cette nouvelle démarche marocaine. Le succès est partiel. « Bon nombre de pays d’Afrique francophone [comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire ou le Gabon] soutiennent le plan marocain au Sahara », souligne Ignacio Cembrero, mais la stratégie marocaine n’est pas parvenue à infléchir les positions de l’Afrique du Sud, du Nigeria et – sans surprise – de l’Algérie, trois puissances continentales.

Avec la France, dont les relations se sont tendues après les révélations d’écoutes marocaines sur des personnalités françaises via le logiciel Pegasus, le climat est devenu orageux autour du Sahara occidental : Rabat juge le positionnement de Paris trop ambigu. Alors que la France s’est montrée favorable en 2007 à la proposition marocaine d’une « autonomie » de la région dans le cadre de la souveraineté de Rabat, Mohammed VI a sommé ses alliés, dont Paris, de clarifier « le fond de leur positionnement d’une manière qui ne prête à aucune équivoque ». « Le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international », avait-il mis en garde lors d’un discours le 20 août 2022.

Or l’attitude de Paris, qui refuse de reconnaître formellement la souveraineté marocaine sur le territoire – se contentant d’applaudir la proposition d’autonomie comme « une base de discussion sérieuse et crédible » – est aujourd’hui jugée dépassée à Rabat. Surtout après le revirement en mars 2022 de Madrid, qui, après avoir longtemps manifesté une certaine bienveillance à l’égard des revendications du Polisario, est allé très loin dans l’approbation du projet marocain d’autonomie, loué désormais comme « la base la plus sérieuse et la plus crédible » en vue de la résolution du conflit. Rabat attend de la France le recours à un tel superlatif (« la base la plus sérieuse ») en lieu et place de l’article indéfini (« une base sérieuse ») qui fait office de position officielle à Paris.

Tourisme, phosphate et pêche

Mais l’autre volet du combat marocain se situe sur le terrain de l’économie. Les dépenses visant à militariser, développer et exploiter la zone désertique, notamment la ressource touristique, ne sont toutefois pas encore rentables. « Le Sahara coûte beaucoup plus cher qu’il ne rapporte, souligne Ignacio Cembrero. Les fonctionnaires envoyés y ont une prime, les impôts y sont plus faibles et le Maroc a fait de nombreux efforts économiques pour cette zone. »

L’exploitation du phosphate lui permet néanmoins d’être le deuxième producteur mondial, derrière la Chine. Son contrôle des 1 100 km de côtes sur l’Atlantique lui offre le monopole sur les ressources halieutiques, même si Rabat a subi un revers après que la Cour de justice de l’Union européenne a considéré que l’accord de pêche avec les Vingt-Sept, qui lui apportait une contribution annuelle d’environ 50 millions d’euros, était illégal en raison du statut du Sahara occidental. L’accord est arrivé à expiration le 17 juillet.

Le Maroc n’entend cependant renoncer à aucune de ses revendications sur ce territoire. Le royaume ne conditionne pas l’entièreté de ses relations à la question du Sahara occidental, mais celle-ci est aujourd’hui devenue l’épine dorsale de sa diplomatie. Et qu’importent les fâcheries et coups de froid qu’elle peut susciter.

Source: Le Monde