Guillaume Meurice : " Rennes, c’est un peu le gauchistan "

July 25, 2023
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Guillaume Meurice : Ben, déjà, je découvre que je peux venir à ce rendez-vous en dix minutes et pas en une demi-heure. J’habite Rennes depuis fin février. Je suis venu pour raisons sentimentales. C’est plus cool que Paris, plus jeune, plus festif. Les gens sont moins stressés. Ça m’avait déjà frappé, moi qui ai grandi dans la campagne profonde.

J’habite vers la rue Saint-Hélier. On m’a dit que le quartier se boboïsait un peu, j’imagine que j’y participe (rire). C’est surtout pratique car c’est à 10 minutes de la gare. Je n’ai pas encore eu le temps de bien me poser, entre la radio, les spectacles et mes projets à côté.

J’ai vu qu’il y avait des comedy clubs qui s’étaient montés . Je vais y aller en spectateur. Jouer devant un public trois fois par semaine, c’est le meilleur moyen de progresser.

Ah, mais moi, je suis fan de Manau ! Tu ne peux pas m’avoir là-dessus. Manau, c’est la base. C’est intéressant les clichés, parce qu’il y a toujours une petite part de vrai. En humour, ils permettent d’aller droit au but. On verra dans quelques années si j’ai changé d’avis sur Rennes.

Toujours dans la rubrique clichés, Rennes est parfois caricaturée ville « écolo-gaucho », la même étiquette dont vous affublent vos détracteurs.

Ouais, Rennes c’est un peu le gauchistan. C’est une safe place pour moi. En même temps, les Rennais votent Nathalie Appéré qui n’est pas Che Guevara non plus.

Je suis un caricaturiste, un clown

En octobre, vous aviez justement interpellé la maire dans un tweet largement repris : « Coucou Nathalie Appéré ! On est à la mairie avec des enfants qui dorment dehors dans ta ville… » Vous avez en l’occasion d’en rediscuter avec les élus depuis ?

Non, je ne sais pas comment ça se passe. À ce moment-là, on manifestait devant la mairie, il n’y avait pas 200 familles, peut-être quatre, avec des poussettes. On voit bien que de manière générale, quand ce sont des Ukrainiens, ils sont logés, pas de problème.

Évidemment, ce n’est pas la faute de la mairie, c’est la Préfecture qui est censée gérer ça. On m’a dit que j’étais un peu injuste car la mairie de Rennes en faisait déjà pas mal. Mais très bien ! Bravo ! Sauf que là, je voulais juste trouver une solution d urgence et on sait que la mairie a les clés des gymnases.

Rencontre fortuite avec un auditeur place de la Mairie, à Rennes. (David Brunet)

Vous vous définissez comme un humoriste militant ?

Non. Mais c’est parce que j’ai beaucoup de respect pour les militants. Ils collent des affiches, participent à des réunions, ils n’ont plus le temps de voir leurs gosses. Contrairement à eux, je ne cherche pas à convaincre. Je dis juste mon avis. Je suis juste un caricaturiste, un clown. Le clown n’est pas politique. C’est sa position qui l’est. Ce qui est paradoxal, c’est que c’est le pouvoir qui te donne l’autorisation de le brocarder, mais ça reste limité à une chronique par-ci, par-là. C’est exactement la même position que le bouffon du roi à l’époque.

Faire ce tweet ironique pour interpeller la Ville, ce n’est pas être humoriste militant ?

Peut-être, oui. Mais je considère que n’importe qui aurait pu faire ça.

Vous étiez mardi 6 juin à Rennes pendant la manifestation contre la réforme des retraites. Qu’est-ce qui vous a marqué ?

J’ai vu le fameux El Diablo (chanteur parodiste qui ambiance la remorque de la CGT, NDLR). Il y a beaucoup plus de karaoké dans les manifs à Rennes qu’à celles de Paris. J’aime ce côté festif même si, bon, la fin ne l’est pas toujours. C’est important, la joie dans la lutte. Moi, je m’amuse tout le temps. C’est même indécent d’être payé pour ça !

En 2016, vous incarniez dans un spectacle un conseiller en com’de Manuel Valls. Si vous étiez le spin doctor de Nathalie Appéré, que lui diriez-vous ?

Elle est assez discrète. J’ai l’impression qu’elle n’est pas trop dans les médias. Je lui demanderais quel est son but, ce qu’elle est. Je lui demanderais si elle est heureuse.

Ah, et le slogan de la ville est pourri, au fait. « Vivre en intelligence » ? Non mais qui a trouvé ça ? Je suis sûr que ça a coûté des ronds, avec des réunions et des gens qui ont vraiment consacré du temps à faire plein de propositions à la con. L’être humain est vraiment fascinant.

Vous proposez quoi à la place ?

Rien ! On arrête les slogans !

Le slogan de Rennes est pourri

En 2022, vous aviez obtenu sans rien faire six parrainages à la présidentielle. Vous envisagez de vous présenter à la mairie de Rennes ?

Non. Je n’ai pas les leviers. Quand j’étais au rassemblement avec les familles à la rue, à la mairie, ils me disaient : « Nous, on décide de pas grand-chose. Si on se fâche avec la préfecture, ils vont nous fermer des lieux, ils vont nous envoyer les flics ». Un maire est obligé de faire des compromis et des concessions.

France Inter a annoncé qu’à la rentrée, votre émission « C’est encore nous » serait rétrogradée de quotidienne à hebdomadaire, invoquant une baisse des audiences…

Ce n’est pas encore signé, alors je préfère prendre des pincettes. Pour l’instant, la tendance est de la programmer le dimanche de 18 h à 20 h, en direct et en public. J’ai aussi un podcast, que j’ai déjà enregistré, à propos des océans, avec des enfants.

Lors de vos micro-trottoirs, vous tendez le micro à des passants, souvent anonymes, dont les réponses spontanées ou incohérentes fustigent parfois les pauvres, les migrants… Ça ne vous déprime pas au bout d’un moment ?

Ces dingueries racistes ? Non, parce que je comprends pourquoi ils le disent. Ce sont des choses qu’ils répètent sans y penser. Quand tu regardes C News toute la journée, c’est sûr que quand tu sors tu es sur le qui-vive. Si tu tombes sur un gars avec un micro dans la rue, tu vas lui dire « Oui, bon, l’écologie, d’accord, mais le problème, ce sont les Arabes ». Le cerveau, c’est un organe un peu pourri. Il faut lui demander un petit effort, appliquer certains réflexes, pour raisonner vraiment. On me demande souvent : « Où trouves-tu ces gens-là ? ». Évidemment, ce sont les gens de gauche qui me posent la question, parce qu’ils ont l’impression que ces gens n’existent pas. En réalité, ils représentent une personne interrogée sur trois. Il suffit de regarder le résultat des élections ! On a tendance à considérer que la réalité, c’est notre entourage, avec qui on est généralement d’accord. Bon, sauf la famille qui offre un panel plus diversifié. Mais la plupart du temps, on ne va pas au resto en compagnie de gens avec qui on s’engueule. C’est ce qu’on appelle les bulles de filtrage, les biais de confirmation…

Ça me fait marrer d’entendre que France Inter est de gauche

Vos chroniques vous valent de nombreux commentaires haineux sur Internet, où d’aucuns vous accusent de représenter un virage du service public à l’extrême gauche. Comment réagissez-vous ?

Ça me fait marrer d’entendre que France Inter est de gauche. Il faut vraiment ne pas l’écouter souvent pour croire ça. Si encore il y avait des émissions sur les ouvriers ou quoi tous les jours… En vrai, j’aime bien chercher pourquoi les gens passent cinq minutes de leur vie à m’insulter. Je leur réponds quand j’ai le temps. J’ai la passion de la joute verbale. Ça m’intéresse aussi sociologiquement. J’ai remarqué que ceux qui m’envoient des menaces et des insultes, c’est uniquement les mecs. Quand je réponds, la tension baisse. On se rend compte qu’ils sont juste tombés sur une chronique concernant une thématique qui les énerve. Il faut prendre le temps d’écouter les autres, savoir pourquoi ils disent ce qu’ils disent. Je suis hyper open au débat, je ne demande qu’à changer d’avis. J’ai arrêté de manger de la viande car j’ai été convaincu à force d’en discuter. Les arguments m’ont paru valables. La seule chose qui pourrait faire continuer, c’est le goût. Ce qui me paraît assez peu pour défoncer trois millions d’animaux tous les jours.

Euh, bienvenue dans une région qui compte 7,5 millions de porcs…

Dans quelques années, ça apparaîtra comme un truc barbare. On se dira : « Mais comment on a pu laisser faire ça ? » La loi reconnaît déjà la sensibilité de l’être vivant. C’est interdit de mettre des coups de pied à un chat, mais par contre, un cochon, tu peux le gazer sans aucun problème. À gauche, ils sont à la ramasse là-dessus. Déjà qu’ils ont mis du temps pour laisser de la place aux femmes… La lutte des classes passait avant, soi-disant. Moi, j’imagine toujours qu’on est une téléréalité pour des extraterrestres et qu’ils doivent bien se marrer, genre « Mais qu’est-ce qu’ils sont cons… ».

Et ça vous arrive de vous moquer de vous-même ?

Dans mes chroniques, souvent. Avec les autres à Inter, on s’appelle entre nous « les islamo gauchistes », « les terroristes intellectuels », etc. On est très potes dans la vie. C’est pour ça qu’on s’envoie des vannes. On sait que personne ne va mal le prendre.

Bolloré est connu pour être très interventionniste

À propos de vannes, où en est le procès avec votre ancien éditeur autour de votre livre « Le fin mot de l’histoire », coécrit avec Nathalie Gendron et depuis passé chez Flammarion ?

Au départ, ce sont les éditions Le Robert qui me proposent de participer à leur collection autour des expressions de la langue française. Je devais faire des blagounettes pour accompagner 200 expressions sur l’histoire de France décortiquées par Nathalie Gendron, une spécialiste en littérature. Je ne savais pas que Le Robert appartenait à Editis, qui appartenait à Vivendi, qui appartenait à (Vincent) Bolloré*.

Or, vous aviez écrit : « Faire long feu : expression remplacée aujourd’hui par “révéler sur Canal + les malversations de Vincent Bolloré” » (le propriétaire de la chaîne, NDLR).

Voilà. Le Robert insiste pour que je change la blague, je refuse, ils font relire par un avocat, me disent « C’est bon »… Et au dernier moment, j’apprends que le bouquin ne sortira pas. Ce qui s’est passé en interne, je ne sais pas. Mais Bolloré est connu pour être très interventionniste. Je pense qu’il veut envoyer le message « Regardez, je ne laisse rien passer ». Avec Nathalie, on a porté plainte. La procédure peut durer des années. Pas grave, ça m’intéresse de voir comment marche la machine judiciaire.

Vous préparez un spectacle, « Vers l’Infini », avec l’astrophysicien breton Éric Lagadec…

Ah, les Bretons sont partout ! Le spectacle, c’est une carte blanche pour le Curieux festival de Strasbourg dont je suis le parrain cette année. J’ai invité mon pote Éric. Il m’a demandé ce qu’on pourrait choisir comme thème. J’aimais bien « l’infini », comme dans la phrase « Il y a deux infinis, l’univers et la connerie humaine, et encore, pour l’univers, je ne suis pas sûr ». Du coup, Éric fait le spécialiste de l’univers, et moi, le spécialiste de la connerie. On est en train de monter une tournée. J’espère bien qu’il y aura des dates à Rennes.

Vos spectacles, vos livres, c’est une manière de garder un pied en dehors de la sphère médiatique parisienne ?

Si tu concentres tout au même endroit, forcément, les gens vont savoir que tu es tributaire d’eux. Alors que là, ce n’est pas grave, si on me vire d’un endroit, je ferai autre chose. On est beaucoup plus libre quand on développe ses activités. Ce n’est pas une stratégie, c’est surtout que j’aime bien faire de tout. Et je vois que ça a des effets. Le rapport de force change.

*Vivendi s’est séparé d’Editis en 2023 pour acquérir Hachette, en accord avec les autorités antitrust de la Commission européenne

Guillaume Meurice, en quelques dates

14 juin 1981. Naissance à Chenôve (Dijon).

2002. Cours Florent à Paris.

2007. Premier one-man-show, intitulé Annulé.

2012. « On va tous y passer » sur France Inter.

2014. « Si tu écoutes, j’annule tout », devenue « Par Jupiter ! » et « C’est encore nous ! » sur France Inter

2018. Premier roman : « Cosme »

Source: Le Télégramme