Ukraine : 5 minutes pour comprendre l’incident diplomatique déclenché par l’ambassadeur chinois en France

April 24, 2023
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Levée de boucliers. Connu pour ses attaques virulentes, Lu Shaye, l’ambassadeur de la Chine en France, a choqué d’anciennes républiques soviétiques vendredi en niant leur souveraineté et provoqué un tollé parmi les pays concernés. L’affaire a aussi poussé près de 80 parlementaires européens à demander à la ministre française des Affaires étrangères de déclarer le diplomate « persona non grata », dans une tribune publiée dimanche par le journal le Monde. On fait le point sur cet incident diplomatique.

Qui est Lu Shaye ?

Silhouette fluette et lunettes fines, l’homme de 58 ans occupe son poste à Paris depuis l’été 2019. Il a également travaillé au Sénégal ainsi qu’au Canada. Lu Shaye fait partie des « loups combattants », ce nouveau clan de diplomates chinois ne mâchant pas leurs mots face à un Occident perçu comme systématiquement hostile à Pékin.

Ses diatribes récurrentes lui ont déjà valu, fait rare, deux convocations au Quai d’Orsay. La première fois pendant la crise Covid en 2020, après un tweet de l’ambassade de Chine accusant les soignants « d’abandonner les vieillards dans les Ehpad en les laissant mourir ». La deuxième fois pour avoir traité sur Twitter Antoine Bondaz, chercheur français réputé ayant évoqué Taïwan, de « petite frappe » et de « hyène folle ».

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Qu’a-t-il dit ?

Vendredi soir, Lu Shaye a encore donné de la voix lors d’une interview sur LCI. Il a déclaré que la Crimée, région d’Ukraine occupée depuis 2014 par Moscou, « était tout au début à la Russie. C’est Khrouchtchev qui a offert la Crimée à l’Ukraine dans l’époque de l’Union soviétique? » Il a ensuite élargi son argumentaire aux pays de l’ex-URSS qui, selon lui, « n’ont pas le statut effectif dans le droit international parce qu’il n’y a pas d’accord international pour concrétiser leur statut de pays souverain ». Et l’ambassadeur d’appeler à « arrêter de chicaner » sur la question des frontières post-soviétiques.

🗣 @DariusRochebin : "Est-ce que la Crimée, à vos yeux, c'est l'Ukraine ?"

🗣 Lu Shaye : "Ça dépend comment on perçoit le problème [...] Ce n'est pas si simple."

📺 #La26 pic.twitter.com/nspLMs9HO8 — LCI (@LCI) April 21, 2023

Par ses propos, l’officiel chinois a donc rayé de la carte une quinzaine de républiques, nées de la dislocation de l’URSS en 1991, dont l’Ukraine, en guerre avec la Russie.

Quelle est la réaction des pays concernés ?

Kiev, qui prépare une contre-offensive contre l’armée russe, a dénoncé dimanche les propos du diplomate. « Il est étrange d’entendre une version absurde sur l’histoire de la Crimée de la part d’un représentant d’un pays scrupuleux au sujet de son histoire millénaire », a lâché sur Twitter Mykhailo Podoliak, conseiller à la présidence ukrainienne. « Tous les pays de l’ex-URSS ont un statut souverain clair inscrit dans le droit international », a-t-il poursuivi, avant d’ironiser : « Si vous voulez être un acteur politique majeur, ne répétez pas comme un perroquet la propagande des Russes. »

All post-Soviet Union countries have a clear sovereign status enshrined in international law. Except for Russia, which fraudulently took a seat in the UN Security Council. It is strange to hear an absurd version of the "history of Crimea" from a representative of a country that… — Михайло Подоляк (@Podolyak_M) April 23, 2023

Les États baltes, désormais membres de l’Union européenne et de l’Otan, n’ont pas masqué leur courroux. La Lituanie, la Lettonie et l’Estonie vont convoquer ce lundi les émissaires chinois « pour demander une clarification, savoir si la position de la Chine a changé concernant l’indépendance, et leur rappeler que nous ne sommes pas des pays post-soviétiques mais des pays ayant été illégalement occupés par l’Union soviétique », a annoncé le chef de la diplomatie lituanienne, Gabrielius Landsbergis, en marge d’une réunion des ministres européens des Affaires étrangères.

La veille, le ministre des Affaires étrangères letton, Edgars Rinkevics, avait fustigé des remarques « complètement inacceptables ». Son homologue estonien Margus Tsahkna les a, lui, qualifiées de « fausses », relevant d’une « interprétation erronée de l’Histoire ».

The comments by the Chinese representative on independent & sovereign states are false & a misinterpretation of history.

Baltic states under international law have been sovereign since 1918 but were occupied for 50 years. https://t.co/0PlUmRR2S6 — Margus Tsahkna (@Tsahkna) April 22, 2023

« L’UE ne peut que supposer que ces déclarations ne représentent pas la position officielle de la Chine », a aussi dénoncé le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, critiquant des propos « inacceptables ».

Et celle de la France ?

Les déclarations du « loup » Shaye mettent dans l’embarras la diplomatie française, deux semaines à peine après qu’Emmanuel Macron a rendu visite à son homologue chinois Xi Jinping pour l’inciter à « ramener la Russie à la raison » vis-à-vis de l’Ukraine et le presser de ne pas livrer d’armes à Moscou. Le ministère des Affaires étrangères recevra ce lundi l’ambassadeur, « l’occasion de mises au point très fermes », a indiqué le Quai d’Orsay. « Cet entretien était prévu » avant vendredi, « on va faire passer les bons messages », a précisé le ministère.

Paris avait déclaré samedi avoir « pris connaissance avec consternation » des déclarations polémiques. L’Ukraine a été reconnue internationalement « dans des frontières incluant la Crimée en 1991 par la totalité de la communauté internationale, Chine comprise », avait insisté le Quai d’Orsay, rappelant que l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 est « illégale au regard du droit international ».

Qu’a répondu la Chine ?

Pékin a semblé prendre ses distances, ce lundi, avec les déclarations de son ambassadeur. « La Chine respecte la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de tous les pays et soutient les objectifs et les principes de la Charte des Nations unies », a affirmé à la presse la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Mao Ning.

Source: Le Parisien