En Tunisie, les négociations avec le FMI sont " complètement à l’arrêt "
Le président tunisien, Kaïs Saïed, à Paris, le 23 juin 2023. POOL / VIA REUTERS
La dernière fois qu’il a évoqué le Fonds monétaire international (FMI), le président Kaïs Saïed a eu des mots cinglants. Après avoir évoqué une « malédiction antique » pesant sur le FMI, le président tunisien a appelé, dimanche 23 juillet dans un discours à Rome, à « créer une nouvelle institution financière mondiale » pour « établir un nouvel ordre humain où l’espoir remplace le désespoir ».
L’octroi par cette institution d’un crédit crucial pour la Tunisie, étranglée financièrement, paraît de plus en plus compromis, selon des économistes et des sources proches du dossier. Malgré un premier feu vert de Washington en octobre 2022, les négociations avec Tunis pour un nouveau crédit de 1,9 milliard de dollars (environ 1,7 milliard d’euros) piétinent depuis fin 2022. Un accord apporterait une bouffée d’oxygène à ce pays dont les difficultés croissantes inquiètent l’Europe et les Etats-Unis, et déclencherait d’autres financements étrangers.
Endettée à hauteur de 80 % de son PIB, la Tunisie a un besoin criant d’argent pour régler les salaires des fonctionnaires (680 000 dans l’administration centrale) et ses dépenses courantes. Mais Kaïs Saïed s’oppose aux « diktats » du FMI que sont, à ses yeux, deux mesures prévues pour obtenir le crédit : une levée graduelle des subventions étatiques sur les produits de base, dont les carburants, et la restructuration d’une centaine d’entreprises publiques criblées de dettes.
« L’accord est bloqué à cause de Kaïs Saïed, qui rejette des réformes proposées par son gouvernement [au FMI], en particulier pour les subventions », explique à l’AFP Aram Belhadj, enseignant chercheur à l’Université de Carthage. Avec une économie marquée par de faibles salaires, le pays a instauré dans les années 1970 une caisse de compensation à travers laquelle l’Etat achète des produits de première nécessité pour les réinjecter à bas prix sur le marché.
Pour M. Belhadj, « si d’ici fin août il n’y a pas de clarification de la position de la Tunisie, l’accord avec le FMI sera enterré une fois pour toutes ». « Les négociations sont complètement à l’arrêt, c’est Tunis qui bloque », confirme à l’AFP l’économiste Ezzedine Saidane, soulignant que M. Saïed « a vu dans ces réformes des choses qui le pénaliseraient politiquement ». Le directeur du département régional du FMI, Jihad Azour, a indiqué mi-avril n’avoir reçu « aucune demande de Tunis pour la révision de son programme ».
« La pression fiscale la plus élevée d’Afrique »
Début juin, M. Saïed a de nouveau exclu de toucher aux subventions, annonçant à la place des taxes « pour prendre l’excédent d’argent aux riches et le donner aux pauvres ». Plus simple à dire qu’à réaliser : le déficit public (8 % du PIB) provenait en totalité des « compensations » étatiques en 2022, et aux deux tiers des subventions énergétiques après l’invasion russe de l’Ukraine, en février 2022, qui a fait flamber les cours du pétrole. M. Saidane déconseille une hausse des taxes alors que le pays, « avec la pression fiscale la plus élevée d’Afrique », est déjà « à la limite ».
Si la Tunisie décide de se passer du FMI, peut-elle tenir ou fera-t-elle défaut en cessant de rembourser ses dettes ? Pour 2023, le pays peut faire face à des échéances estimées à 21 milliards de dinars (environ 6,2 milliards d’euros), dont 12 milliards en devises, grâce au tourisme, aux envois de la diaspora, aux exportations de phosphates et à la baisse du coût de l’énergie, selon les économistes. « Mais en l’absence d’accord, la situation va devenir de plus en plus difficile. Le risque de défaut sera très grand en 2024 et 2025 », juge M. Belhadj.
Pour M. Saidane, l’Etat tunisien « semble avoir fait le choix de privilégier le remboursement de sa dette, mais aux dépens de l’approvisionnement en produits de base ». Ces derniers mois ont déjà été marqués par des pénuries sporadiques de farine, de riz, de sucre ou d’essence, se traduisant par des rayons vides ou de longues queues devant certains magasins.
Cette crise financière a d’autres conséquences néfastes. L’Etat ne peut pratiquement financer aucun nouvel investissement, ce qui condamne la Tunisie à stagner, avec une croissance faible (environ 2 %) et un chômage supérieur à 15 %. Pour financer ses dépenses, il sollicite aussi de plus en plus les banques locales, minant leur réputation à l’international : quatre d’entre elles ont vu leur note dégradée en début d’année par l’agence Moody’s.
Source: Le Monde