"La violence est grandissante dans la gestion du maintien de l'ordre", juge le secrétaire général de la CGT-Intérieur-Police
Anthony Caillé estime notamment que "la façon dont le gouvernement répond aux maux de la société et aux revendications des citoyens pose aujourd'hui problème".
Si une trentaine d'enquêtes sont ouvertes à ce jour à l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) pour des soupçons de violences policières, c'est "la faute aux armes utilisées" qui font que la "violence est grandissante dans la gestion du maintien de l'ordre", juge le secrétaire général de la CGT-Intérieur-Police jeudi au micro de franceinfo.
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Anthony Caillé estime que "l'institution policière est en crise". Il a publié une tribune dans les colonnes du journal Le Monde mercredi 26 juillet pour appeler à réformer la formation, l'usage des armes et les instances qui contrôlent les écarts de la police, comme l'IGPN.
franceinfo : À quoi sont dues toutes ces enquêtes pour des soupçons de violences policières ?
Anthony Caillé : Notre institution traverse une crise et pas que l'institution policière d'ailleurs, les institutions de la République, et notamment celle de faire en sorte que tout citoyen soit en sécurité. On le voit bien depuis les manifestations pour la loi Travail, les retraites, le mouvement des "gilets jaunes"... La violence est grandissante dans la gestion du maintien de l'ordre. La faute à quoi ? Je pense aux armes utilisées, c'est une certitude.
"Ensuite, quand on a un gouvernement qui a un discours guerrier et un discours martial à longueur de journées, ça crée des tensions." Anthony Caillé, secrétaire général de la CGT-Intérieur-Police sur franceinfo
C'est la faute des armes et du gouvernement ?
Je pense qu'il y a aujourd'hui un mésusage de l'armement dans la police nationale, ça c'est sûr. Utiliser un LBD [lanceur de balles de défense, type "Flash Ball"] dans une manifestation, pour moi, c'est à proscrire. C'est une arme qui a été destinée aux violences urbaines et non pas au maintien de l'ordre.
D'ailleurs, les Compagnies républicaines de sécurité (CRS) et les gardes mobiles, qui sont des professionnels du maintien de l'ordre, s'en servent très peu. Ce sont essentiellement les Brigades anticriminalité (BAC) et les Compagnies de sécurisation et d'intervention (CSI) qui utilisent ce type d'armes. Et puis surtout, la doctrine et le cap fixés par le gouvernement, la façon dont le gouvernement répond aux maux de la société et aux revendications des citoyens posent aujourd'hui problème.
Est-ce que Frédéric Veaux, le directeur général de la police nationale, s'est placé au-dessus de la justice quand, dans les colonnes du Parisien / Aujourd'hui en France dimanche 23 juillet, il a affirmé qu'avant "un éventuel procès, un policier n'a pas sa place en prison" ?
Au-delà de l'aspect réglementaire qui impose à tout policier, et aussi bien au premier policier de France, une obligation de neutralité, je pense que ses paroles ne sont pas de nature à apaiser ce qui est en train de se passer dans le pays.
Est-ce qu'une partie du problème dans le traitement des violences policières vient du fonctionnement de l'IGPN ?
Je ne dis pas forcément qu'il y a un dysfonctionnement dans le travail de l'IGPN. Je dis qu'il y a un problème de transparence de cette entité. On peut la réformer de plusieurs manières.
"La réforme que je propose me semble être une solution acceptable par tout le monde : garder l'IGPN comme elle existe, mais la mettre sous contrôle d'une commission nationale." Anthony Caillé, secrétaire général de la CGT-Intérieur-Police sur franceinfo
Pour qu'on puisse rendre des comptes régulièrement et de la situation des affaires qui sont en cours. Ça existe déjà. Je prends l'exemple de la CNCTR, la commission nationale qui contrôle les écoutes administratives. En fait, moi je n'invente rien, je reprends ce qui existe dans certains cas et je pense que ça permettrait plus de transparence.
Il y a matière à inspiration chez nos voisins aussi en Europe ?
Oui, il y a matière à inspiration avec les pays nordiques, scandinaves, l'Allemagne… L'Angleterre a fait un choix totalement différent qui est radical : confier ses enquêtes à des personnes non-policières, et si vous avez été policier un jour, vous ne pouvez pas faire partie de cette commission d'enquête. Je ne pense pas que la méthode anglaise soit la bonne solution. Le droit est tellement compliqué, le métier de policier aussi. Je pense que se passer de policiers et de gendarmes dans un organe de contrôle, ça serait courir à l'échec.
Il y a un problème aujourd'hui entre la police et la justice ?
Non, il n'y a pas de problème. Il y a une méconnaissance du monde judiciaire de la part des policiers. Les jeunes policiers ne sont pas formés au monde judiciaire. Il y a un manque de transparence, il y a un manque de connaissances, il y a un manque de formation. Ces gens-là ne se parlent pas, mis à part les enquêteurs qui font de la police judiciaire (PJ).
"C'est un monde complètement différent et il n'y a pas de contact entre le policier de terrain qui bosse dans les commissariats et qui représente le gros des troupes et le monde judiciaire. Donc il y a une méconnaissance et une crainte de l'autre." Anthony Caillé, secrétaire général de la CGT-Intérieur-Police sur franceinfo
C'est donc la formation qu'il faut changer aussi ? Comment ?
Oui, je pense que la formation chez nous n'est pas assez longue. Elle n'est pas assez pertinente. Il faut absolument ouvrir les écoles au monde de la société civile. Il faut faire rentrer des gens dans les écoles, des représentants de la société civile, des avocats, des magistrats notamment, pour développer tout ce volet judiciaire, juridique et savoir ce qu'est le travail d'un magistrat. Parce que là, aujourd'hui, on fait peser la faute sur les épaules d'un juge d'instruction.
Mais le juge d'instruction, il n'est pas tout seul. D'ailleurs, il prend cette décision sur quel fondement et sur quel socle ? Sur une enquête de police, sur un dossier, sur des éléments de policiers qui lui ont été donnés. Et son jugement, il ne le fait pas tout seul. Il a ses pairs autour de lui. Il demande ou en tout cas, il amène de la réflexion auprès de ses collègues. Il a une hiérarchie et surtout, aujourd'hui, il y a un juge des libertés et de la détention qui est là pour contrôler justement la légalité des faits.
Source: franceinfo