" Personne ne veut prendre en charge " les mineurs isolés, dénonce un collectif de soutien lyonnais
Ce jour-là, Ahmad arrive au campement de Sainte-Marie-Perrin, à Lyon, avec une « grande nouvelle » à annoncer. La veille, la juge des enfants l’a informé qu’elle reconnaissait sa minorité. « J’ai traversé quatre pays et la Méditerranée en bateau mais attendre cette décision, c’était le plus dur de mon parcours jusqu’ici », souffle-t-il dans un sourire qu’il ne peut contenir. Il a 16 ans. Mais en arrivant en France, le Centre de mise à l’abri et d’évaluation (CMAE) a estimé qu’il n’était pas mineur et ne pouvait bénéficier de la protection de l’enfance.
« J’ai montré un extrait de mon passeport, car je ne pouvais pas prendre les originaux en partant de mon pays », explique-t-il. La preuve n’a pas suffi. Mais il a contesté la décision du CMAE et a attendu cinq mois une audience, sans avoir accès à aucun droit, ni aucune ressource. Sur le territoire lyonnais, ils sont 280 à 300 jeunes dans ce cas. Et depuis trois mois, une centaine d’entre eux vit à la rue, sous des tentes dans un square, entre la canicule et les orages.
« 80 % des recours aboutissent à une reconnaissance de minorité »
« C’est inhumain de vivre dans des conditions pareilles, s’exclame Ibrahima. Il fait tellement chaud qu’on ne peut pas dormir. Et quand il y a des orages, c’est horrible, les toiles ne tiennent pas, les branches tombent, on a tous très peur. On ne sait pas quoi faire. » Il ajoute : « On a vraiment besoin d’une solution. C’est urgent ! »
Au-delà de la météo, les jeunes relatent les menaces qu’ils reçoivent et le sentiment d’insécurité qui ne les quitte pas. « Ils sont réellement en danger, appuie Lisa Lamboley, bénévole du collectif soutiens migrants Croix-Rousse. Et ils sont constamment humiliés. On ne les considère tout simplement pas. Alors que dans 80 % des cas, les recours aboutissent à une reconnaissance de minorité. On leur fait perdre leur temps. »
Pour essayer de faire avancer les choses, les jeunes se mobilisent régulièrement. « Ils ont organisé plusieurs manifestations devant différentes institutions. Comme personne ne veut leur donner des droits, ils vont les chercher, souligne Lisa Lamboley. Ils sont reçus en délégation et à chaque fois, on leur dit qu’on ne peut rien faire pour eux. Personne ne veut les prendre en charge. » Aujourd’hui, elle en appelle aux responsables des autorités locales car les seuls qui s’occupent des jeunes sont des bénévoles.
102 places disponibles pour 300 demandes
À quelques mètres du campement, dans les bureaux de la métropole, ce sujet est « complexe ». La collectivité affirme que, depuis les premières revendications des associations, elle a travaillé avec Forum Réfugiés, l’organisme du CMAE, pour s’assurer de la bonne réalisation des évaluations. Et puis, elle estime que si le test a déterminé que les jeunes n’étaient pas mineurs, ils ne relèvent plus de sa compétence [la métropole de Lyon a les compétences d’un conseil départemental qui se charge des mineurs non accompagnés dans le cadre de la protection de l’enfance].
La métropole rappelle d’ailleurs qu’elle a fait plus que ce qu’elle ne devait en créant deux sites inédits en France, appelés « La Station ». Ouverts en novembre 2020 et en juillet 2022, ces endroits, gérés par l’association Le Mas, accueillent exclusivement des jeunes non reconnus mineurs qui attendent un jugement qui statue légalement leur minorité. Mais les 102 places sont prises. « Il en faudrait 300 », réclame le collectif. Grand Lyon s’en remet alors à l’Etat pour ouvrir davantage d’hébergements d’urgence [car ce domaine, c’est de sa responsabilité].
« Prévaloir la parole du jeune en cas de doute »
La balle est donc dans le camp du gouvernement. Surtout après la publication d’un rapport qui met en évidence les « défaillances de la France dans l’accueil d’un mineur non accompagné et la détermination de son âge », comme l’a cité le défenseur des droits. En janvier dernier, le Comité des droits de l’enfant de l’Onu rappelait à la France qu’elle avait signé la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) et ne l’avait pas respectée.
Le pays a été sanctionné pour « absence de protection d’un mineur non accompagné qui se trouvait à la rue, sans hébergement, sans aucune prise en charge, ni aucun moyen de subsistance ». Exactement ce que vivent les 90 jeunes du square lyonnais. La France avait alors six mois pour prendre des mesures afin de « garantir que tout mineur soit considéré et protégé comme tel jusqu’à décision définitive d’un juge ».
Mais plus de 180 jours ont passé et… Rien. Des parlementaires locaux EELV, les députés Marie-Charlotte Garin et Hubert Julien-Laferrière ainsi que les sénateurs Raymonde Poncet-Monge et Thomas Dossus, ont décidé d’interpeller la Première ministre Élisabeth Borne sur le sujet en dénonçant « une situation indigne du pays ». Ils réclament « des mesures immédiates de mise à l’abri et d’accompagnement médico-social ». « Il est temps d’en finir avec la présomption du mensonge en vigueur aujourd’hui où tout est fait pour détecter les faux mineurs », écrivent-ils. Ils pensent que « la parole du jeune doit prévaloir en cas de doute » parce qu’il « est du devoir de l’État de garantir sa protection ».
Source: 20 Minutes