En ligne, les prophètes des finances bâtissent leurs empires

July 28, 2023
70 views

« Salut à toi, jeune entrepreneur. » Rapidement tournée en ridicule, cette accroche de l’influenceur suisse Jean-Pierre Fanguin préfaçait une vidéo où il promettait de gagner de l’argent facile. Pourtant, comme lui, des dizaines d’influenceurs promettent de faire de vous un millionnaire grâce à des formations, des placements ou des cryptomonnaies. Un système pyramidal qui cache de nombreuses dérives.

Quand on parle de devenir riche rapidement et simplement, le risque d’arnaque n’est jamais loin. Par définition, il y a assez peu de statistiques sur les arnaques. Néanmoins, le parquet de Paris estime par exemple que les arnaques financières font perdre environ 500 millions d’euros par an en moyenne aux Français. En début d’année, le collectif Aide aux victimes d’influenceurs (AVI) a porté plainte contre plusieurs personnes suite à différentes escroqueries promues par de stars de la téléréalité, notamment contre Animoons, un projet NFT, et le couple Marc et Nadé Blatta, qui faisaient la promotion de copy trading. Une pratique qui encourage les utilisateurs à copier les positions boursières d’une autre personne, généralement un autre trader ou un influenceur.

Arnaques en réseaux

Amine* fait partie des victimes de Marc Blatta, qu’il a découvert en 2020. « Il a un langage qui me parle, il est drôle, il a la même confession que moi… je me suis laissé adoucir, reconnaît-il. Quand il parle de copy trading, j’écoute, et comme son argumentaire est super bien ficelé, je décide de tenter ma chance. » « Le travail de mise en confiance est différent pour chaque influenceur, complète Mehdi Mazi, cofondateur du collectif AVI. Certains vont utiliser le levier familial en s’affichant avec leurs enfants, d’autres mettent en avant leurs trains de vie luxueux, ou même la religion, en faisant la promotion du trading islamique par exemple. » D’autres vont profiter d’une certification de compte ou d’un passage à la télé pour se créer une légitimité.

Comme d’autres, Amine accumule les petits gains de 7, 9, 12 euros… et les grosses pertes de 150 ou 200 euros. « Quand on demande des explications, le ton change, puis [Marc Blatta et son épouse] disparaissent », explique-t-il. Amine se réjouit que la situation ait été dénoncée par d’autres figures connues, comme Booba et le Loup de la street, avant que le collectif AVI puis la justice s’en mêlent. Aujourd’hui il assure qu’il n’accorde « plus aucun crédit » aux belles promesses de gains sur Internet.

« Si c’est trop beau pour être vrai, ce n’est pas vrai »

Face à ces risques, l’Autorité des marchés financiers met à disposition des outils sur son site : un questionnaire d’autodiagnostic, un inventaire des plateformes autorisées (liste blanche) ou non autorisées (liste noire). « Face à un post d’influenceur, il faut se poser les bonnes questions, détaille Claire Castanet, directrice des relations avec les épargnants au sein de l’institution. Quelles sont les compétences en finance de cette personne ? Est-ce une publicité rémunérée ou pas ? Si c’est trop beau pour être vrai, ce n’est pas vrai. »

Elle tient aussi à ne pas mettre tout le monde dans le même panier : « Il faut distinguer les gourous de la finance autoproclamés qui orientent vers les plateformes non autorisées, des influenceurs qui n’ont pas compris qu’on ne peut pas vendre des produits financiers comme des savons et des créateurs de contenus qui respectent les règles. »

Des dessous cyber-libertariens

Pourtant, le monde de la crypto repose bel et bien sur des figures pour lesquelles le terme de gourou n’est pas exagéré. C’est ce que la journaliste Nastasia Hadjadji explique dans son livre No crypto, Comment bitcoin a envoûté la planète. « Le bitcoin s’est bâti toute une mythologie, notamment autour de la figure de Satoshi Nakamoto, indique-t-elle. On ne sait pas si c’est un individu ou un groupe, qui entretient un anonymat qui n’est pas étranger au culte dont il fait l’objet. En 2008, il signe le “White Paper du bitcoin” qui fait l’objet d’évangile. » Vitalik Buterin, fondateur d’Ethereum, convoque plutôt « le registre de l’intelligence hors-norme, du génie ». Sam Bankman-Fried, cofondateur de la plateforme d’échanges FTX qui s’est effondrée en novembre 2022, a, lui, « marketé les attributs du nerd, comme Mark Zuckerberg ».

Sur les réseaux, ces grands prophètes ont leurs évêques et leurs prêtres, en la personne d’influenceurs à différentes échelles. Les adeptes des bitcoins ont leur propre langage et leurs propres codes (yeux lasers, auréoles, « to the moon », « we’re all gonna make it » [« on va tous s’en sortir »]…). Nastasia Hadjadji cite par exemple Michael Saylor, « qui passe ses journées à partager des aphorismes néomystiques » sur Twitter. « Tout ça relève d’une sémantique quasi sectaire, ajoute-t-elle. Surtout, la contradiction est impossible, la critique relève de l’apostat. »

#Bitcoin Empowers. pic.twitter.com/wLAz57xvlK — Michael Saylor⚡️ (@saylor) July 26, 2023 L‘accès à ce contenu a été bloqué afin de respecter votre choix de consentement En cliquant sur « J‘ACCEPTE », vous acceptez le dépôt de cookies par des services externes et aurez ainsi accès aux contenus de nos partenaires J‘ACCEPTE Et pour mieux rémunérer 20 Minutes, n'hésitez pas à accepter tous les cookies, même pour un jour uniquement, via notre bouton "J‘accepte pour aujourd‘hui" dans le bandeau ci-dessous. Plus d’informations sur la page Politique de gestion des cookies.

Derrière cette organisation presque religieuse, les gourous du bitcoin défendent une idéologie politique. Dans son livre, Nastasia Hadjadji l’appelle le « cyber-libertarianisme », et la décrit comme une intersection entre le libertarianisme économique, l’anarcho-capitalisme, le « cypherpunk » des années 1980 et l’école autrichienne d’économie. « Ce sont des idées à la droite de la droite américaine, qui préconise de faire société en dehors de l’Etat. […] Il y a aussi une dimension complotiste anti-banque centrale. » Ajoutez à cela un soupçon d’idéologies comme le transhumanisme ou l’altruisme efficace. La première prône l’utilisation de la technologie pour améliorer la condition humaine dans tous ses aspects. La seconde, moins connue, mais dont Sam Bankman-Fried est l’un des adeptes, prétend rechercher les manières les plus rationnelles et analytiques d’avoir un impact positif sur le monde.

Une loi qui a beaucoup à faire

En juin, une nouvelle loi est venue encadrer l’influence commerciale sur les réseaux sociaux. Elle rappelle par exemple l’obligation d’afficher la nature publicitaire d’un contenu. Certaines dispositions s’appliquent spécifiquement à la finance et aux cryptos, comme l’obligation de porter un discours équilibré sur les gains et les pertes potentielles, ou l’interdiction de promouvoir des structures qui n’ont pas été agréées comme prestataires de services sur actifs numériques (PSAN).

« Le gouvernement, parallèlement aux initiatives parlementaires a entrepris une démarche d’écoute et de pédagogie avec les professionnels de l’influence commerciale, défend Claire Castanet. La loi a elle-même une forte dimension pédagogique. Les influenceurs qui veulent se professionnaliser ne peuvent plus ignorer la loi. »

« Il est encore trop tôt pour pouvoir juger, mais c’est une bonne direction, estime Mehdi Mazi du collectif AVI. Les textes ciblent les problèmes qui ont été évoqués. On pense et on espère que ça va fonctionner. » Il reste néanmoins des trous dans la raquette. Les NFT et les formations, par exemple, ne sont pas concernés par la loi qui limite la promotion des cryptomonnaies.

Comme toute structure, la pyramide crypto repose sur son socle : le grand public, qui apporte de l’argent à la machine. « On parle beaucoup de folklore, mais il y a surtout un besoin de capital frais pour enrichir le haut de la pyramide. » A la fin, ce sont toujours les mêmes qui perdent. « Je pense qu’un magicien ne dévoile jamais ses tours », résume Amine, amer.

Source: 20 Minutes