La contre-offensive de Kiev a déjà commencé "sur le plan stratégique"
Guerre en Ukraine
Des soldats ukrainiens prennent part à un exercice militaire dans la région de Kharkiv, le 1er mai 2023.
Guerre de communication orchestrée par Kiev, fébrilité des autorités russes, intensification des actes de sabotage... la contre-offensive ukrainienne destinée à reconquérir les territoires occupés par la Russie dans l’est et le sud a déjà commencé sur le plan stratégique.
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C'est une série d'attaques qui ne doit rien au hasard, alors que la contre-offensive ukrainienne est sur toutes les lèvres. Ces derniers jours, plusieurs bombardements et actes de sabotage attribués à Kiev ont visé des infrastructures russes dans les territoires occupés et les régions frontalières.
Les forces ukrainiennes ont notamment frappé, mardi 2 mai, un village dans la région russe de Briansk, a déclaré le gouverneur régional sur Telegram. Dans la soirée, un nouveau train de marchandises a déraillé en raison de la déflagration d'un "engin explosif". La veille déjà, une autre locomotive et sept wagons avaient été visés par une attaque à la bombe dans cette région frontalière. Le même jour, une ligne à haute tension a été endommagée dans une explosion, cette fois dans la région de Léningrad, près de la frontière avec l'Estonie, toujours selon les autorités locales.
Ce week-end, cinq villages de la région de Belgorod ont aussi subi les foudres de l'artillerie ukrainienne, provoquant des coupures d'électricité. Une attaque de drone a également provoqué le gigantesque incendie d'un dépôt pétrolier de Sébastopol, en Crimée.
Is this the official start of Ukraine's spring counteroffensive to liberate Crimea from Russian fascists? Large fuel depot hit by a drone at a port in Sevastopol at 4:30am. pic.twitter.com/aDqvbsvikD — Igor Sushko (@igorsushko) April 29, 2023
Depuis le déclenchement de l'invasion de l'Ukraine en février 2022, les autorités russes ont régulièrement dénoncé des incursions de groupes armés ukrainiens sur son territoire, notamment dans la région de Briansk. De son côté, Kiev ne revendique presque jamais ces actes de sabotage, qui ont souvent visé les chemins fer dont dépend la logistique de l'armée russe.
"La contre-offensive a déjà commencé sur le plan stratégique avec ses actions dans la profondeur sur les postes de commandement et les nœuds logistiques pour ralentir l'approvisionnement de l'armée russe, notamment en carburant et en munitions", analyse le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l'ONU. "Les Ukrainiens cherchent également à rendre aveugles les Russes en frappant leurs instruments de guerre électronique", c'est-à-dire les outils d'écoute, de localisation et de brouillage des communications ennemies.
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"Cela sert à façonner le champ de bataille en prévision des axes d'attaque qui seront privilégiés. Il s'agit d'éviter que l'adversaire puisse stocker du matériel ou envoie rapidement ses renforts. Leur médiatisation peut également servir à induire en erreur l'adversaire. Mais tout cela peut prendre plusieurs semaines, il ne faut pas s'imaginer que ce genre d'actions signifient une opération imminente", nuance Guillaume Lasconjarias, historien militaire et enseignant à la Sorbonne.
Une campagne similaire de frappes ciblées et de sabotages destinés à "façonner le champ de bataille" avait également eu lieu à la fin de l'été 2022. Elle avait débouché sur la contre-offensive victorieuse qui avait permis de repousser les Russes, à l'Est, dans les régions de Kharkiv et d'Izioum, et dans le Sud, à préparer la reconquête de Kherson.
Guerre des nerfs
Mais à l'opposé du strict black-out informationnel imposé par Kiev lors de la contre-offensive menée l'année dernière, l'Ukraine semble cette fois étrangement prompte à communiquer sur ses intentions. "Les préparatifs touchent à leur fin", a déclaré vendredi le ministre ukrainien de la Défense Oleksiï Reznikov. "L'équipement a été promis, préparé et partiellement livré. Au sens large, nous sommes prêts", a-t-il encore ajouté à propos des armes et des équipements occidentaux.
"Il y a beaucoup de communication stratégique pour mettre la pression sur les Russes. Cependant, si on sait qu'il va y avoir une contre-offensive, on ignore où, quand, et comment elle aura lieu", rappelle le général Trinquand.
"L'objectif est en effet de créer un climat de nervosité chez les Russes", confirme Guillaume Lasconjarias. "Mais plus encore, il s'agit de s'adresser à l'opinion publique ukrainienne qui attend cette offensive. Enfin, dire qu'il va y avoir une contre-attaque mais qu'il y a encore des besoins, c'est aussi exercer une forme de pression sur les alliés occidentaux pour que les armements, la logistique et les munitions soient au rendez-vous de cette contre-offensive".
De son côté, la Russie n'entend pas rester les bras croisés comme en témoigne la multiplication des frappes de missiles sur le territoire ukrainien ces derniers jours. Moscou a notamment mené vendredi la plus importante vague de frappes depuis le mois de mars faisant 26 victimes, dont 23 habitants d'un même immeuble à Ouman.
"Le ministère russe de la Défense a récemment changé de rhétorique et tente de décrire cette campagne de frappes comme une approche pro-active alors que l'inquiétude grandit au sein de l'espace informationnel russe autour de la contre-offensive ukrainienne", note l'Institute for the Study of War, dans une note publiée lundi.
Le chef du groupe paramilitaire russe Wagner, Evgueni Prigojine, a déclaré dimanche qu'une contre-offensive ukrainienne pourrait même représenter "une tragédie" pour la Russie alors que ses hommes manquent cruellement de munitions. "Nous n'avons que 10-15 % des munitions dont nous avons besoin", a assuré le patron de Wagner. Evgueni Prigojine, qui a rendu les hauts gradés de l'armée russe responsables de ces pénuries, a dit s'attendre à une attaque ukrainienne vers la mi-mai.
"Un fusil à un coup"
Si le patron de Wagner plaide comme à son habitude pour sa paroisse, cette sortie révèle une forme d'appréhension côté russe alors que Kiev pourra compter sur la majeure partie des armes promises par l'Occident pour lancer son offensive. Selon le secrétaire général de l'Otan, l'Ukraine a reçu "98 % de l'aide militaire promise par l'Ouest". Au total, "1 550 véhicules blindés, 230 tanks et beaucoup de munitions" ont été livrés, a affirmé Jens Stoltenberg, la semaine dernière.
Malgré leurs pertes depuis le début du conflit, les Ukrainiens seraient parvenus à constituer une armée formée sur les standards de l'Otan. "On évoque le chiffre de 60 000 hommes répartis dans 12 brigades côté ukrainien", précise le général Trinquand. "Compte tenu de la qualité de l'équipement et de la qualité de la préparation, les Ukrainiens sont en situation de force pour remporter une victoire sur un front de taille réduite", prédit l'expert des questions militaires.
En face, les Russes ont constitué une ligne défensive longue de 800 km, de la Crimée à Kharkiv, constituée de champs de mines, de dents de dragon (des cônes en béton pour ralentir la progression des blindés) et de tranchées. Le succès de la contre-offensive dépendra en grande partie de la capacité des forces ukrainiennes à "brécher", c'est-à-dire à franchir tous ces obstacles.
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"Cela nécessite des moyens du génie pour pomper les cours d'eau ou effectuer des opérations de déminage pour laisser passer les chars", indique le général Trinquand. "Il faut percer mais ensuite être capable d'exploiter. Cela signifie envoyer des renforts et que dans le même temps les Russes soient incapables de réagir", précise Guillaume Lasconjarias.
L'enjeu est crucial pour l'Ukraine qui tient ici l'occasion de porter un coup décisif aux forces russes qui, selon les États-Unis, ont perdu 100 000 hommes, dont 20 000 tués et 80 000 blessés, depuis le mois de décembre 2022.
"Mais pour l'Ukraine, c'est un fusil à un coup", estime le général Dominique Trinquand. "Ils peuvent réussir à enfoncer l'armée russe et à créer une bouleversement qui se fera ressentir jusqu'au Kremlin. Mais en cas d'échec, on est partis pour plusieurs mois de confrontation sur une ligne de front et le retour à une guerre d'usure".
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Source: FRANCE 24