En République centrafricaine, le référendum controversé du président Touadéra
Le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra à son arrivée à Saint-Pétersbourg pour le sommet Russie-Afrique, le 26 juillet 2023. STANICLAV KRASILNIKOV / AP
Retenu au sommet Afrique-Russie, qui s’est tenu jeudi 27 et vendredi 28 juillet à Saint-Petersbourg, Faustin Archange Touadéra n’est pas rentré à temps pour animer un dernier meeting de campagne. Mais à la veille du référendum constitutionnel de dimanche qui doit permettre au président centrafricain de briguer autant de mandats qu’il le souhaite, son visage est omniprésent à Bangui : sur les tee-shirts, les banderoles. Le pouvoir veut transformer le vote en plébiscite pour le chef de l’Etat. « J’aimerais que le président reste car il a apporté la stabilité, dit Arnaud Christian Zameto, un de ses partisans, casquette « je vote oui » vissée sur la tête. S’il faut changer la Constitution pour avoir la paix, on y est prêt. »
Dans les rues, aucune affiche ne défend le non. « C’est que les gens ont trop peur pour s’opposer à ce coup de force », croit savoir un habitant du quartier Bruxelles qui préfère garder l’anonymat. En début de semaine, le porte-parole d’un des principaux partis d’opposition a été interpellé, puis relâché quelques heures plus tard. D’autres y voient plutôt l’expression d’un profond désintérêt.
Parmi la population, rare sont ceux qui ont lu le texte, publié dix jours seulement avant le vote et amendé moins d’une semaine plus tard. « Il n’y a aucun suspense, juge, amère, une source diplomatique. L’enjeu est que devant les caméras tout se déroule bien à Bangui. »
Pouvoirs renforcés pour le président
Evariste Ngamana, le vice-président de l’Assemblée nationale et directeur de campagne pour la nouvelle Constitution, se montre effectivement très optimiste : « Nous savons que le oui va l’emporter, mais nous mettons l’accent sur la participation. » C’est le principal enjeu du scrutin, car l’essentiel de l’opposition appelle au boycott. Ses cadres affirment que des bourrages d’urnes seraient en cours pour maintenir ce chiffre haut.
Des partisans de la réforme de la Constitution lors d’un meeting de campagne à Bangui (République centrafricaine), vendredi 28 juillet 2023. BARBARA DEBOUT / AFP
« Ce référendum est illégal, car il va à l’encontre de la décision de la Cour constitutionnelle », estime Martin Ziguélé, président du parti d’opposition Mouvement pour la libération du peuple centrafricain (MLPC). Le 23 septembre 2022, la Cour avait invalidé le comité chargé de rédiger une nouvelle Constitution. Au terme d’un bras de fer, sa présidente, Danièle Darlan, avait été démise de ses fonctions avant que le processus reprenne son cours.
Une disposition de la nouvelle Loi fondamentale cristallise les tensions : la suppression de la limitation des mandats présidentiels. « C’est l’unique but de cette réforme constitutionnelle, poursuit Martin Ziguélé. Le président Touadéra veut rester au pouvoir ad vitam æternam, comme l’empereur Bokassa avant lui. » « La non-limitation des mandats assure la stabilité des institutions. Rien ne dit que le chef de l’Etat se présentera aux prochaines élections », répond Evariste Nagamana.
La nouvelle Constitution renforce également les pouvoirs de l’exécutif. Elle crée un poste de vice-président, dispose que le chef de l’Etat nomme désormais la majorité des membres du Conseil constitutionnel. Le contrôle du Parlement sur les contrats miniers est aussi supprimé. « Il s’agit d’accélérer de longues procédures fastidieuses, car l’urgence est au développement du pays », explique Héritier Doneng, directeur de cabinet du ministre de la jeunesse et des sport, engagé de longue date pour le changement de Constitution. L’opposition y voit plutôt un moyen d’opacifier davantage les passations de marchés dans ce secteur décisif.
L’ombre des Russes
Enfin, une première mouture du nouveau texte durcissait les conditions d’accès aux fonctions électives en imposant d’être né de parents centrafricains, eux-mêmes centrafricains. Ces termes ont suscité la colère, notamment au sein de la communauté musulmane, pour partie installée plus récemment sur le territoire. « Ça peut poser un problème, concède Héritier Doneng, mais la Constitution reste modifiable. L’essentiel, c’est d’aller voter, le reste, on verra après ! » A trois jours du scrutin, la Loi fondamentale a effectivement été modifié : une seule génération de parents centrafricains sera finalement requise.
Le président centrafricain, Faustin-Archange Touadéra, et le président russe, Vladimir Poutine, lors du sommet Russie-Afrique à Saint-Pétersbourg, vendredi 28 juillet 2023. ARTEM GEODAKYAN / AFP
Le référendum est organisé sur fonds propres, sans le soutien des Nations unies ni des chancelleries occidentales qui, malgré les critiques, n’ont pas ouvertement condamné la démarche. « Les troisièmes mandats sont malheureusement devenus la norme en Afrique », reconnaît en soupirant un diplomate. Les Etats-Unis se sont contentés d’appeler à un scrutin « transparent, libre et équitable ». Washington et Paris espèrent qu’en relâchant la pression sur Faustin-Archange Touadéra, ce dernier acceptera de négocier un départ des paramilitaires du Groupe Wagner de son pays, déployés depuis 2018 et dont le nombre est estimé à 2 000, même si le régime n’a à aucun moment semblé vouloir rompre ce partenariat.
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Au contraire, les hommes de Prigojine s’impliquent d’ailleurs publiquement dans l’organisation du scrutin. Ils sécurisent les opérations, transportent le matériel et l’équipe de campagne. Dimitri Sytyi, l’un des responsables des opérations civiles et commerciales du groupe en Centrafrique, pose même en photo en compagnie des responsables de la campagne dont le ministre de la justice Arnaud Djoubaye Abazène et le premier vice-président de l’Assemblée nationale Evariste Ngamana, en partance pour superviser les opérations dans l’est du pays. « Vous voyez des Russes partout, rétorque M. Ngamana. Nous sommes un peuple souverain avec de la jugeote et je vous prie d’avoir un peu d’égard à notre endroit. »
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« Les Occidentaux ont tendance à sous-estimer la classe politique centrafricaine, observe John Lechner, chercheur et journaliste spécialiste du pays. Wagner et le gouvernement ont plutôt trouvé là un point d’intérêt commun. Le narratif du gouvernement pris en otage par les Russes dédouane le pouvoir de ses responsabilités en plus d’être inexact. Le président Touadéra n’est pas naïf et il sait très bien ce qu’il fait. »
Une décennie plus tôt, son prédécesseur François Bozizé avait tenté de faire adopter une nouvelle Constitution pour briguer un troisième mandat avant d’être renversé l’année suivante par les rebelles de la Séléka. Faustin Archange Touadéra lui, semble bien parti pour réussir son pari.
Source: Le Monde