Fini le ticket de caisse ? Sept questions que pose la disparition de l’impression automatique
Une hôtesse de caisse remet à une cliente son ticket de caisse après paiement dans un supermarché de Lyon, le 25 juillet 2023. MAXIME JEGAT / PHOTOPQR/LE PROGRES/MAXPPP
Trente milliards de tickets de caisse sont imprimés en France chaque année, et 90 % d’entre eux sont imbibés de bisphénol, un perturbateur endocrinien. Ces raisons sont avancées par le ministère de l’économie pour justifier l’interdiction de l’impression systématique des tickets, qui entre en vigueur le 1er août 2023 dans le cadre de la loi antigaspillage pour une économie circulaire (AGEC).
Cette mesure a été repoussée à deux reprises, le gouvernement la jugeant trop sensible au moment où l’inflation poussait les Français à regarder leurs factures avec un regain d’attention. Les tickets dématérialisés proposés par certains commerçants peuvent-ils constituer une solution de rechange ? Ils posent en tout cas de nombreuses questions sur les plans de l’écologie et de la vie privée.
Peut-on me refuser un ticket de caisse en papier ?
Non. Si vous le demandez, les commerçants ont l’obligation de vous l’imprimer. Les consommateurs qui pointent leurs achats avec leurs tickets de caisse chaque mois ou ne sont pas à l’aise avec les technologies n’auront donc pas à changer leurs habitudes.
Dans certains cas, vous n’aurez pas besoin de le demander : il sera, par exemple, imprimé automatiquement quand vous achèterez un bien « durable ». Pour ces produits, le ticket revêt une importance particulière : il prouve la date d’achat et renseigne sur la durée de la garantie. Sont concernés : les appareils électroniques, l’électroménager, les jouets, les articles de sport, l’horlogerie, l’ameublement et le bricolage ; mais pas les chaussures ni les vêtements.
Certains mouvements de carte bancaire, comme les remboursements, feront également l’objet d’une impression systématique.
Qu’est-ce qu’un ticket dématérialisé ?
Il comporte les mêmes informations que son équivalent en papier, mais il est expédié dans un format dématérialisé (comme le PDF) par un canal numérique – e-mail ou SMS. Alternativement, il peut être téléchargé sur son smartphone avec une application de fidélité à l’enseigne.
Certains commerçants proposent aussi de le récupérer avec le QR code. Mais la méthode est laborieuse : après avoir payé, le client pointe l’appareil photo de son smartphone – ou une application de lecture de QR codes – vers un tout petit carré aux motifs géométriques posé à côté de la caisse. Une adresse Internet apparaît, ouvrant un site où figure le ticket. Pour le mémoriser, on peut se l’envoyer par e-mail, par exemple.
Tous les commerçants ne proposent pas de tickets dématérialisés : ils n’ont aucune obligation de le faire.
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Le ticket de caisse dématérialisé est-il écologique ?
Le gouvernement présente la fin de l’impression automatique du ticket comme une mesure antigaspillage. L’économie est incontestable lorsque aucun ticket n’est émis, mais quand la facturette papier est remplacée par un équivalent numérique, une comparaison s’impose : le ticket numérique est-il réellement plus écologique que le ticket papier ? Interrogé, le ministère de l’écologie n’a pas été en mesure de transmettre au Monde une étude d’impact répondant à cette question.
En 2018, le collectif d’experts Green IT avait communiqué aux médias une estimation, qui continue de circuler depuis : un ticket numérique consommerait moins d’eau que son équivalent papier, mais générerait plus de gaz à effet de serre. Le Monde a interrogé le consultant en écodesign à l’origine de ce calcul, Frédéric Bordage, ainsi qu’un groupe d’experts affiliés au groupement de service public EcoInfo.
Tous considèrent que le calcul mériterait d’être révisé, tant les méthodes d’évaluation se sont affinées depuis 2018. D’un côté, les estimations d’impact des e-mails ont été révisées à la baisse depuis cette époque. De l’autre, les calculs initiaux de Green IT étaient trop optimistes, comme le reconnaît Frédéric Bordage : ils tablaient sur un ticket envoyé dans un e-mail léger, alors qu’en réalité il est souvent alourdi par une publicité. Ils postulaient que le particulier ne conserverait pas cet « e-ticket », alors que certains consommateurs l’archivent.
Selon les experts d’EcoInfo, un effet pervers pourrait également alourdir le bilan : des commerçants pourraient se convertir au marketing numérique (publicités ciblées, sollicitation d’avis, etc.). C’est d’ailleurs un des arguments en faveur du ticket dématérialisé mis en avant par le ministère de l’économie dans une fiche d’information aux commerçants : « L’e-ticket peut devenir une force marketing en l’utilisant comme canal de communication avec les visiteurs. »
Non seulement cela alourdirait leur bilan carbone, mais cela pousserait leurs clients à consommer plus : l’impact écologique serait alors substantiel, alors que sans cela, selon les experts d’EcoInfo, le ticket dématérialisé représenterait une goutte d’eau dans le bilan carbone du numérique en France.
Puis-je refuser un ticket dématérialisé ?
Assurément. Vous pouvez exiger un ticket papier à la place, ou demander à ne recevoir aucun ticket – probablement le meilleur choix pour un petit achat. Mais, pour d’autres achats, mieux vaut réfléchir avant de refuser tout ticket. Sortir d’un magasin sans ticket peut occasionner des démêlés avec la sécurité. En outre, les tickets permettent de débusquer une erreur d’étiquetage ou l’oubli d’une promotion, et constituent une preuve d’achat nécessaire pour faire jouer la garantie d’un appareil, par exemple.
Le commerçant va-t-il me noyer de publicités si je lui confie mon adresse e-mail ou mon numéro de téléphone ?
Dans bien des cas, le commerçant en aurait le droit. La Commission nationale informatique et liberté (CNIL) considère qu’un commerçant peut vous envoyer des publicités après vous avoir expédié votre ticket de caisse par e-mail ou par téléphone. Nul besoin de vous avertir préalablement par oral : il lui suffit de vous en informer par écrit au moment du passage en caisse, sur un affichage clair et concis.
Mais beaucoup de clients risquent de rater cette information s’ajoutant « aux nombreuses mentions déjà présentes en caisse – promotions, rappels de produits, moyens de paiement acceptés, etc. », comme le soulignait, en 2021, un collectif d’associations de consommateurs.
Un client peut-il interdire au commerçant l’envoi de publicités ? La notice de la CNIL l’exige, que ce soit au moment de la collecte de l’e-mail ou du numéro de téléphone, ou en permettant, à chaque message publicitaire envoyé, de se désinscrire. Mais combien de commerçants y dérogeront ?
Mes données personnelles vont-elles être vendues à des experts du marketing ?
Selon la CNIL, un commerçant souhaitant vendre vos données doit recueillir votre consentement actif. Dans l’idéal, cela suppose qu’il obtienne une preuve écrite, telle une signature avec un stylet numérique, mais rien ne l’y oblige : il ne sera pas sanctionné s’il se contente d’un consentement oral. Or cette méthode noie la permission dans un flou dont certains commerçants pourraient profiter, comme l’explique l’avocat en droits des données personnelles Aloïs Ramel :
« Le consentement oral ne laisse pas de trace, le commerçant ne peut pas le prouver a posteriori. Il prend un risque sur le plan juridique, mais d’un autre côté, les clients portent très rarement plainte pour défaut de consentement, notamment parce qu’ils ne savent pas quel commerçant a revendu leurs données. La tentation peut donc exister pour les commerçants de se contenter d’un consentement oral, dont il faut craindre qu’il ne respecte pas toutes les obligations légales et réglementaires. Il y a de très fortes chances pour que nos données de contact soient au moins une fois de temps à autre vendues par des commerçants à d’autres en dehors de tout consentement éclairé. »
Un QR code protège-t-il mieux ma vie privée ?
Les tickets dématérialisés distribués par QR code sont souvent présentés comme une solution ne nécessitant pas la collecte d’informations personnelles, à l’inverse d’un envoi d’e-mail ou de SMS. Il faut nuancer cette affirmation.
Les entreprises françaises Billiv et Noticia, qui commercialisent ce type de solution, mémorisent les tickets numériques dans le navigateur de chaque client. Noticia admet le faire par l’utilisation d’un cookie, qui lui permettrait théoriquement de surveiller les achats du client pour lui faire ensuite parvenir des publicités personnalisées.
Si la possibilité technique existe, ces entreprises affirment toutefois s’interdire de mémoriser toute information personnelle : « La société ne collecte aucune donnée personnelle des utilisateurs de la WebApp dans le cadre d’un accès simple au ticket de caisse », certifie Billiv sur son site Internet. En revanche, offrir aux commerçants la possibilité de le faire fait partie de leur argumentaire. Noticia décrit ainsi sur son site « d’autres fonctionnalités [qui] permettent aux clients de suivre vos programmes de fidélité – abonnement à une newsletter, laisser un avis, se créer un espace, etc. Vous aurez donc la possibilité de compléter votre fichier client si nécessaire ».
Source: Le Monde