JMJ 2023 : pour les jeunes Africains, la difficile obtention du visa
Ce lundi 24 juillet, la paroisse Saint-Jean de Cocody, à Abidjan, accueillait une célébration particulièrement festive : 78 jeunes, 29 prêtres, deux religieuses et un séminariste y célèbrent leur messe de départ aux Journées mondiales de la jeunesse, organisées du 1er au 6 août à Lisbonne, au Portugal. Comme dans la plupart des autres pays africains, les membres de cette délégation ont été soigneusement sélectionnés.
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Au Portugal, les 78 jeunes sont encadrés par les prêtres, les religieuses et le séminariste au sein de petites cellules permettant à chaque membre de la délégation d’être « le gardien de l’autre ». Un souci de sécurité, mais pas seulement : il s’agit également de s’assurer que tous les participants rentreront en Côte d’Ivoire à l’issue du rassemblement. Les slogans de la délégation ivoirienne insistent d’ailleurs sur l’importance du retour après ce pèlerinage. « Jeunes catholiques de Côte d’Ivoire, comme Marie, disons oui ! », encourage le premier, inspiré du thème des JMJ choisi par le pape. Mais le deuxième est plus explicite. « Nous partons et nous revenons parce que nous aimons notre pays et notre Église ! »
« Il y a de l’avenir en Côte d’Ivoire ! »
Cette insistance s’explique par un phénomène bien concret : il a pu arriver par le passé que certains jeunes Africains profitent des JMJ pour migrer vers les pays du Nord. Ce fut par exemple le cas en 2011 pour deux jeunes Ivoiriens lors des JMJ de Madrid. « Une jeune femme s’est enfuie dès l’arrivée à l’aéroport », se souvient Hervé Kacou, membre de la délégation ivoirienne pour les JMJ de 2011, aujourd’hui chargé de communication et de marketing pour une structure internationale. « Quant à l’autre jeune, nous avions dès le début senti son désir de rester en Europe.Nous avons essayé de le raisonner comme nous le pouvions en lui disant qu’il y avait de l’avenir en Côte d’Ivoire. » Mais rien n’y fit et au dernier jour des JMJ, le jeune déserte les rangs.
« Les cas de jeunes qui ont profité de précédentes JMJ pour s’exiler sont légion, abonde un prêtre jésuite camerounais. J’ai des connaissances qui se sont installées en Europe par ce biais. » Conséquence directe : les autorités du pays hôtes peuvent parfois rendre très difficile l’obtention par de jeunes Africains du visa d’entrée sur leur territoire. « Cette situation nous cause énormément de problèmes, se désole Fidèle Tchangai, président de la coordination diocésaine des jeunes de Thiès, dans l’ouest du Sénégal, et participant aux JMJ de Lisbonne. Les jeunes Africains peinent pour avoir le visa à cause de cela. »
« C’est révoltant et injuste ! »
La difficulté est particulièrement importante lorsque les JMJ se tiennent dans un pays de l’espace Schengen. Ainsi, en 2005, pour les JMJ de Cologne, les autorités allemandes avaient refusé le sésame aux délégations camerounaise et togolaise. Cette année encore, une bonne partie de la délégation camerounaise a vu sa demande être rejetée par l’administration portugaise. « L’ambassade n’a accordé aucun visa à un jeune (laïc). C’est révoltant et injuste, fulmine le père Clément Mevo, aumônier national des laïcs à la Conférence épiscopale nationale du Cameroun. Malgré toutes les garanties que la conférence leur fournissait… Même des prêtres ayant l’accord de leurs évêques ou supérieurs n’ont pas eu de visa ! » Au final, sur les 134 dossiers déposés, seuls 13 prêtres et une religieuse ont obtenu le précieux sésame pour se rendre à Lisbonne.
La situation est la même en RD-Congo. Sur les 215 demandes introduites au centre européen des visas à Kinshasa, la structure n’a accepté de traiter que 40 dossiers dans un premier temps, avant d’accepter d’en étudier 40 autres. Au 25 juillet, seuls 33 visas avaient été délivrés à Kinshasa. Heureusement, à Lubumbashi dans le Sud, le bilan était un peu plus positif avec 57 visas sur une soixantaine de dossiers déposés. « Nous espérons obtenir une centaine de visas en tout », souhaitait à quelques jours du départ le père Zéphyrin Ligopi, secrétaire de la Commission épiscopale pour l’apostolat des laïcs de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco).
Partager des « success stories »
La situation n’est toutefois pas irrémédiablement figée. « Dans le passé, il y a eu quelques cas de fuite qui ont fait que pendant quelque temps, le Togo n’avait plus pu participer aux JMJ », rappelle Fabrice Koffi Kakli, 27 ans. Mais pour cette édition, ce jeune enseignant de français et secrétaire général des Éditions Harmattan Togo a pu obtenir son visa, de même que quelques dizaines d’autres jeunes Togolais.
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Aumônier national de la jeunesse au Burkina Faso, le père Paul Valéry Sakougri insiste pour sa part sur le danger d’une généralisation. « Depuis quinze ansque je suis impliqué dans l’accompagnement des jeunes, je n’ai pas encore vu un Burkinabè participant à des JMJ et qui n’est pas rentré chez lui », assure le prêtre. Pour lui, « l’important est de faire une bonne sélection et de choisir des jeunes en qui on a totalement confiance. Ensuite, il faut faire en sorte de créer une bonne ambiance de groupe et une proximité qui feront que même si certains jeunes, arrivés sur place, pensaient à rester, l’on puisse leur faire entendre raison et les ramener. »
« Il faut partager avec les jeunes des “success stories” de nos frères africains qui ont réussi à s’affirmer et à construire leur bonheur en prenant la résolution de vivre leur rêve chez eux », propose pour sa part Edmond Ayetan, participant togolais aux JMJ de Lisbonne. « Il est nécessaire d’aider les jeunes à comprendre que c’est à nous de construire nos nations respectives. »
Source: La Croix