Aux assises d'Aix, la défense attaque bille en tête

May 04, 2023
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Sale journée pour les enquêteurs. Entendus pendant près de dix heures par la cour d’assises d’Aix-en-Provence, les deux enquêteurs de la police judiciaire ont eu affaire à un bataillon d’avocats venus de Marseille et de Paris défendre les intérêts de leurs dix clients, suspectés d’avoir appartenu à un puissant réseau de trafic de drogue.

Trois d’entre eux sont directement accusés du meurtre de Kader Benaicha, assassiné à l’âge de 31 ans le 16 février 2017 au terme d’une impressionnante course-poursuite sur l’autoroute A55, menant de Martigues à Marseille. Tous, en revanche, sont poursuivis pour des associations de malfaiteurs se livrant à un vaste de trafic de stupéfiants et projetant des crimes. Une accusation que les avocats de la défense ont attaquée bille en tête, en ce deuxième jour d’une audience prévue pour durer jusqu’au 12 mai, à commencer par l’enquête des policiers, initiée par un renseignement anonyme.

Une défense de rupture

Six mois après ce renseignement, au terme de cette enquête menée avec force écoutes et surveillances et conclue par deux séries d’interpellations mi-janvier et début février 2017 - soit un an après les faits - les policiers mettaient au jour lors des différentes perquisitions un arsenal technologique dont ils sont coutumiers dans leur service : cinq balises de localisation (des dispositifs utilisés par la police, ou les malfrats donc, pour surveiller les déplacements d’une cible) et de nombreux téléphones cryptés, type BlackBerry, réputés inviolables à l’époque. Des balises que les enquêteurs reliaient à l’assassinat de Kader Benaicha mais dont les avocats ont démontré qu’elles n’avaient pas directement servi à localiser le véhicule de la victime. Ceux-ci devront en revanche expliquer qu’une de ces balises a été, peu avant leurs interpellations en janvier 2018, posée sous le Nissan Juke d’une autre personne, cible suspectée de cette équipe, ce qui étaye l’accusation d’une association de malfaiteurs qui préparaient d’autres crimes.

Mais plus que cette histoire de balise, la défense a habilement attaqué l’accusation sur l’orientation de l’enquête. Au domicile de la victime, dont l’ADN figurait sur la scène d’un crime commis quelques mois plus tôt, la police trouvait un autre arsenal du même acabit, balises et téléphone cryptés, armes de guerre et gilets pare-balles en plus. L’analyse du téléphone révélait quelque 2.500 messages concernant ses activités criminelles et des liens avec d’autres clans de narcotrafiquants marseillais que celui des frères Alamine et Hamza Djouhoud (Hamza a été abattu à Paris en avril 2021), dont le contentieux les opposants à celui des Boughameni, accusés dans le box, sert de base à la lecture des événements qui intéressent la cour dans ce procès.

Des liens avec d’autres groupes qui pourraient valoir à la victime, visiblement tueur chevronné si l’on en croit la teneur des conversations données en lecture et les équipements retrouvés chez lui, des ennemis bien au-delà des frères Malik et Karim Boughanemi. Une défense de rupture qui ne tend pas moins à minimiser l’envergure des accusés qu’à semer le doute, un doute légitime, dans la tête des jurés sur la commission des faits.

Jusqu’à plus de 100.000 euros par jour

Car si au terme de l’audition des enquêteurs, il n’apparaît pas incontestable, en l’absence d’éléments matériels formels, que les accusés aient bien été les auteurs du meurtre de Kader Benaicha, la puissance de l’organisation qu’ils formaient et l’envergure de leur trafic de stupéfiants est pour l’heure intacte. Elle ne devrait d’ailleurs pas tant être discutée par leurs avocats. Les feuilles de comptes retrouvées lors des perquisitions, avec une comptabilité faisant état de recettes dépassant allègrement les 100.000 euros par jour, les messages détaillant le conditionnement des marchandises et l’approvisionnement en quantité des trois points de vente qu’ils géraient, ces accusations semblent difficilement discutables. Mais entre trente ans de prison pour meurtre ou dix ans pour trafic de stupéfiants, il y a un monde. Surtout lorsqu’on est en détention provisoire depuis près de six ans.

Les jurés seront-ils sensibles cette journée d’audience au cours de laquelle la défense paraît avoir marqué des points ? Lors d’un des derniers gros procès d’assises du narcobanditisme marseillais, Kamel Meziani, « boss » suspecté du réseau des Oliviers A, jugé à Aix pour la complicité du double règlement de compte du KFC Plombières, a écopé de trente ans de prison en première instance. L’accusation reposait pourtant, pour l’essentiel, sur un témoignage anonyme et ne disposait d’aucune preuve matérielle. Un précédent que tous les avocats présents à cette audience ont en tête ici. Et leurs clients, dans le box, aussi.

Source: 20 Minutes