"Je n'ai jamais grimpé pour un record", raconte Sophie Lavaud, en passe de devenir la première Française à gravir les 14 sommets himalayens à plus de 8000 m
Le 26 avril, l'alpiniste franco-suisse de 54 ans a escaladé le Shishapangma, sa 13e montagne de plus de 8000 mètres depuis 2012.
Encore un dernier effort titanesque. A 54 ans, l'alpiniste Sophie Lavaud est en passe de devenir la première Française à dompter les 14 sommets himalayens de plus de 8000 mètres d'altitude (hommes et femmes confondus). Après avoir ajouté l'ascension des 8027 mètres du Shishapangma (Chine) à sa collection, vendredi 26 avril, il ne lui reste plus qu'à gravir le sommet pakistanais du Nanga Parbat pour valider l'exploit.
Une performance majuscule débutée en 2012 et que seule une élite restreinte est parvenue à réaliser. Franceinfo: sport s'est entretenu avec cette Franco-Suisse pour qui se déplacer se conjugue à la verticale.
franceinfo: sport : D'où vous est venue cette passion pour l'alpinisme ?
Sophie Lavaud : L'alpinisme, c'est un hobby qui a pris de plus en plus de place dans ma vie. C'est un long chemin commencé avec des sommets de 4000 m dans les Alpes. Mon premier souvenir marquant, c'est évidemment le Mont Blanc, que j'ai grimpé en 2004. Ensuite, les plus hautes altitudes m'ont attirée. J'ai découvert les expéditions de plus de 8000 m dans l'Himalaya en 2012, avant l'Everest deux ans plus tard. Mais je n'étais pas encore focalisée sur ce défi des 14 ascensions. A l'époque, j'avais encore un travail à temps partiel en Suisse. Ce n'est qu'à la fin de l'année 2015 que j'ai démissionné de mon job dans la gestion de carrière pour me consacrer à 100% aux sommets.
Comment s'est déroulée votre dernière ascension au Shishapangma (8027 m) ?
On a été assez perturbés par la météo difficile. Il faisait très froid et il y avait beaucoup de vent. Pour vous donner une idée des conditions, le thermomètre dans ma tente affichait -15°C le matin alors qu'on était encore à 5600m d'altitude. Mais on a eu finalement de la chance parce que le 26 avril, le vent s'est calmé au-dessus de 7600 m et on a eu un temps parfait jusqu'au sommet.
Sophie Lavaud en compagnie de deux autres membres de son expédition au sommet du Shishapangma, le 26 avril 2023. (LAMA)
Qu'est-ce que l'on ressent à plus de 8000 m d'altitude ?
C'est évidemment beaucoup de satisfaction parce qu'on doit batailler pendant des heures avant d'arriver au sommet. Par exemple, avoir les deux pieds sur le sommet de l'Everest (8848 m), cela procure une émotion particulière. On parle quand même du point culminant de notre planète. En haut, on prend le temps de regarder autour de soi et de prendre quelques photos, bien sûr. Mais on garde en tête que le sommet n'est que la moitié du chemin. Il faut vraiment conserver de l'énergie et penser à la descente car il y a toujours des risques.
Au-delà de 8000 m, on est dans la fameuse "zone de la mort" où l'oxygène est plus rare. Comment s'y prépare-t-on ?
La seule préparation nécessaire, c'est une phase d'acclimatation. Par exemple, sur le Shishapangma, on a fait une première rotation pour dormir à 7100 m d'altitude. Cela permet au corps de s'adapter pour la suite. Pour respirer malgré la météo capricieuse, on avait aussi des bouteilles d'oxygène que l'on a commencé à utiliser à partir du départ du dernier camp. C'est simplement une aide. Mais il m'est arrivé de faire deux ascensions de plus de 8000 m sans oxygène.
Pour réussir votre défi, il vous reste à gravir le Nanga Parbat (8126m) que l'on surnomme la "montagne tueuse". Est-ce la montéee la plus difficile selon vous ?
En général, ces grandes montagnes ont toutes des surnoms charmants. Je suis déjà allée au Nanga Parbat l'année dernière. Je n'avais pas réussi à grimper le sommet car la montagne était difficilement praticable, avec d'importantes chutes de pierres, et de toute façon, une intoxication alimentaire pendant la montée avait eu raison de moi. Cette fois, je sais à quoi m'attendre. C'est une ascension technique, c'est engagé et c'est dangereux. Mais je n'ai pas gardé la montée la plus dure pour la fin. Le choix de faire telle ou telle ascension est aléatoire. Cela se fait d'une année sur l'autre en fonction des opportunités d'expédition.
Si vous parvenez à gravir cette montagne, vous deviendrez la première Française à gravir les 14 sommets himalayens. Est-ce une grande fierté ?
Cela n'a jamais été mon moteur. Je n'ai jamais grimpé pour un record, j'ai fait cela pour moi. J'ai cet amour de l'escalade, de l'alpinisme et de la montagne. Les 13 premières ascensions, cela représente en réalité 21 expéditions. Il faut bien comprendre que cela ne marche pas à chaque fois. Atteindre un sommet, ce n'est pas décider d'y aller, monter puis redescendre. Si j'y retourne, c'est ce besoin de me confronter à une aventure différente à chaque fois qui me pousse. Ce n'est pas que le challenge du sommet, c'est le partage avec les autres membres d'expédition, avec les populations locales aussi. En revanche, si mon histoire peut inspirer des femmes à oser réaliser leurs rêves, ce sera quelque chose de magnifique.
Source: franceinfo