En Israël, un couple pris au piège de la justice des rabbins ultraorthodoxes
LETTRE D’ASHKELON
Des militantes habillées en « servantes écarlates », devant le tribunal de Tel-Aviv (Israël), le 4 mai 2023. OHAD ZWIGENBERG / AP
C’était au printemps 2020, devant le tribunal rabbinique d’Ashkelon, dans le sud d’Israël. Masha et Asaf (deux noms d’emprunt) imploraient le juge de prononcer leur divorce. Masha avait quitté le domicile familial un an plus tôt, en mars 2019. Elle avait emménagé dans un village agricole de la région, non loin de l’école de ses deux enfants. Elle avait refait sa vie, mais l’Etat refusait de le reconnaître.
L’Etat, en l’occurrence, était représenté par l’un des douze tribunaux rabbiniques d’Israël, aux mains de rabbins ultraorthodoxes, qui ont autorité sur les mariages et les divorces depuis la fondation de l’Etat, en 1948. Et ce matin de 2020, le juge a des doutes. Il craint que Masha ne soit pas juive. Ce rabbin estime qu’elle a pu se faire reconnaître abusivement comme telle lors de son arrivée en Israël, à 8 ans, en 1990, durant la chute de l’URSS, en même temps qu’un million de juifs originaires de l’ex-espace soviétique. Il refuse de prononcer le divorce tant que Masha ne se sera pas soumise à une enquête approfondie.
Son mari, Asaf, répond qu’un autre rabbin les a mariés religieusement en 2006. D’ordinaire réservé, il s’emporte : « Vous m’avez donné une femme casher il y a quinze ans. Nous avons deux enfants et, maintenant, vous me dites qu’elle n’est pas juive ? Je devrais vous faire un procès ! » Le juge clôt la séance en pointant un doigt accusateur sur Masha : « Nous ferons toute la lumière sur ce cas ! »
Assise sous le porche de sa maison, en ce début de printemps 2023, Masha n’a toujours pas vu la lumière. Elle refuse encore de se soumettre à « l’inquisition » du grand rabbinat. Elle demeure mariée. Son dossier se perd dans un labyrinthe judiciaire. Elle en pleure : « C’est fou. Vous devez prouver ce qui coule dans vos veines. Pourquoi revient-il à cet homme, qui n’a pas la même conception du judaïsme que moi, de dire qui je suis ? Je ne veux pas lui donner ce pouvoir. »
« Le pays vit une crise d’identité »
Masha salue les milliers de manifestants qui ont déferlé, jeudi 4 mai, dans les grandes villes d’Israël pour dénoncer l’emprise des religieux sur le nouveau gouvernement. Depuis décembre 2022, celui-ci allie partis conservateur, ultraorthodoxes et extrême droite messianique. Devant le tribunal rabbinique de Tel-Aviv, des femmes se sont rassemblées en silence, portant la cornette blanche et la robe rouge des « servantes écarlates », ces personnages de roman et de série télévisée, réduites en esclavage par des religieux fondamentalistes.
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Source: Le Monde