Guerre au Soudan : à Khartoum, épicentre des combats, " les corps pourrissent dans la poussière des rues "

May 05, 2023
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Deux hommes marchent dans une rue déserte de Khartoum, le 30 avril 2023. - / AFP

Chaque jour, Abderahman se réveille au son des bombardements aériens, qui font trembler les murs. « Le soir quand on se couche, un nouveau cessez-le-feu a été annoncé à la télévision. Le lendemain matin, on n’a pas besoin d’ouvrir la fenêtre pour savoir que la guerre continue », soupire au téléphone ce trentenaire membre d’un comité de quartier à l’est de Khartoum. Depuis le 15 avril, la capitale du Soudan est l’épicentre des combats entre les Forces armées soudanaises (FAS), dirigées par le général Abdel Fattah Al-Bourhane, et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), du général Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti ».

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Les multiples trêves annoncées par les deux belligérants ont systématiquement volé en éclats. Le bilan humain ne cesse de s’aggraver : plus de 700 morts et 5 000 blessés, selon un comité de médecin. « C’est largement sous-estimé. Les corps s’entassent dans les morgues, pourrissent dans la poussière des rues », se désole Rachid Badr, porte-parole d’un syndicat de docteurs. Parmi les victimes, l’Unicef fait état de plus de 190 enfants.

Depuis trois semaines, les journées sont un quotidien de survie. Dans le quartier de Jareef al-Gharb, où vit Abderahman, tous les magasins sont fermés. Seul un petit marché subsiste, accueillant quelques clients qui font leurs courses à la hâte au milieu d’étals à moitié vides. Le reste des journées se passe, confiné, à se répartir les tâches quotidiennes : livrer des médicaments chez un couple de personnes âgées, passer des coups de fil pour essayer de localiser un jeune disparu au milieu d’une zone de guerre et, au cours des quelques instants de répit, jouer sur son téléphone entre deux coupures de réseau.

Le soir, certains habitants patrouillent dans les rues pour protéger leur pâté de maisons des gangs, qui se sont multipliés alors que plusieurs milliers de détenus ont été libérés par des combattants.

Tentatives de médiation

Un peu plus au sud de la ville, dans le quartier d’Al-Kalakla, il n’y a plus d’électricité depuis une semaine. Les pylônes à haute tension ont été endommagés par des tirs d’artillerie. « On meurt à petit feu », se désole Hasan, militant de longue date contre le pouvoir militaire, qui a décidé de rester pour aider sa communauté. Autour des rares bâtiments équipés de générateurs électriques, des files de voisins attendent dans un entrelacs de câbles et de rallonges pour charger leurs téléphones dans la rue. Alors que le prix des bidons d’eau potable a presque quadruplé, d’autres vont puiser leur eau directement dans le Nil blanc.

« Les belligérants font preuve de mépris pour les vies civiles. Ils bombardent indifféremment des zones urbaines densément peuplées », dénonce le chercheur Mohamed Osman dans un rapport de Human Rights Watch (HRW). La plupart des hôpitaux de Khartoum restent hors service et de nombreux établissements sont occupés par des soldats. Les voitures du personnel hospitalier ont été remplacées par des véhicules blindés surmontés d’armes lourdes ; les services des urgences sont convertis en casernes militaires.

Plusieurs tentatives de médiation sont en cours, menées notamment par l’Arabie saoudite et les Etats-Unis, pour négocier un accès humanitaire sur le terrain. Les deux camps ont nommé des émissaires en vue d’une possible rencontre dans un pays tiers. Mais les deux commandements sont formels : il n’y aura pas de discussion politique pour mettre fin au conflit. « Les deux armées campent sur une seule et même stratégie : l’emporter militairement », reconnaît au téléphone Volker Perthes, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour le Soudan, actuellement à Port-Soudan.

Sur le terrain, aucune armée ne remporte de victoire décisive malgré les multiples renforts envoyés vers la capitale. Plus de 300 000 personnes ont déjà été déplacées par les combats, selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), qui estime que ce chiffre pourrait tripler rapidement. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) dénombre plus de 115 000 personnes ayant fui vers les pays voisins.

Casse-tête logistique

Quelques tonnes d’aide humanitaire arrivent au compte-gouttes à Port-Soudan, par les airs ou par cargo via la mer Rouge, mais l’ONU exige des « garanties de sécurité » afin de pouvoir les acheminer vers les zones sinistrées par les combats. « Ces engagements sont une condition préalable à une action humanitaire à grande échelle », a déclaré Martin Griffiths, patron de l’OCHA, mercredi 3 mai, alors que six camions transportant de l’aide d’urgence vers le Darfour ont été pillés.

L’accès à la région ouest du pays, où les affrontements entre FAS et FSR se conjuguent à l’action de différentes milices qui combattent de part et d’autre, représente un casse-tête logistique pour les humanitaires. « Il va nous falloir passer par le Tchad ou le Soudan du Sud, ce qui nécessite des négociations complexes avec les pays limitrophes et les autorités soudanaises. Au-delà de l’administratif, c’est l’aspect sécuritaire qui est extrêmement inquiétant, avec une spirale de la violence qui s’étend. C’est dangereux pour le personnel et le matériel, qui ne doit pas tomber entre de mauvaises mains », détaille Jean-Nicolas Dangelser, coordinateur des urgences pour l’ONG Médecins sans frontières (MSF).

Les programmes humanitaires au Soudan manquent cruellement de financement et les organisations internationales ont été prises de court. « Nous pouvons dire que nous avons échoué à empêcher » la guerre au Soudan, qui a pris l’ONU « par surprise », a reconnu mercredi Antonio Guterres, son secrétaire général. Un aveu d’échec difficile à entendre pour de nombreux Soudanais, qui dénoncent l’aveuglement de la communauté internationale face aux rivalités croissantes entre les deux généraux depuis leur coup d’Etat, en octobre 2021.

Source: Le Monde