Au Kenya, sur les traces du pasteur Mackenzie et de ses dizaines de fidèles retrouvés morts

May 05, 2023
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Des trous sont visibles après l’exhumation de dizaines de corps du charnier de Shakahola, près de Malindi (Kenya), le 25 avril 2023. YASUYOSHI CHIBA / AFP

Quels secrets morbides renferme encore la forêt de Shakahola ? Sur la côte kényane, le contraste est saisissant entre ces bois où s’empilent les tombes creusées à la va-vite et la très prisée station balnéaire voisine de Malindi, distante d’une quarantaine de kilomètres. Dans l’une, la bourgeoisie du pays profite du sable blanc de l’océan Indien ; dans l’autre, les membres de la secte du pasteur Paul Mackenzie sont morts les uns après les autres, affamés, enterrés sous une terre ocre, en attendant le Jugement dernier.

L’odeur indique une mort lente. Celle de corps pourris au soleil, dans une forêt côtière où le thermomètre affiche plus de 30 °C. L’air y est lourd. « J’ai perdu l’odorat depuis les opérations de secours », indique Victor Kaudo, responsable du centre de justice sociale de Malindi. Il est l’un des premiers à s’être rendus dans cette forêt reculée pour tenter de sauver les corps fébriles qui se laissaient lentement emporter par la faim et la chaleur. Ceux des adeptes de l’Eglise internationale de la Bonne Nouvelle, du pasteur Mackenzie, prophète autoproclamé qui leur a ordonné d’entamer un jeûne extrême pour « rencontrer Jésus ». Selon le gourou, la fin du monde doit intervenir en juin.

Les autorités ont déployé un dispositif militaire à Shakahola pour effecteur les recherches. Depuis fin avril, elles ont exhumé 110 corps et secouru une cinquantaine de personnes. Des centaines d’autres se trouveraient entre la vie et la mort. La Croix-Rouge kényane estime que 540 individus errent encore dans le bush tandis que le procès de leur chef, Paul Mackenzie, commence à Mombasa, la deuxième ville du pays. Les opérations de secours continuent, sans que quiconque d’autre puisse approcher de la mystérieuse forêt, participant à alimenter les rumeurs les plus folles sur l’un des faits divers les plus tragiques de l’histoire du Kenya.

Vivant depuis quatre ans dans ces bois

Qui aurait pu se douter d’un tel carnage commis à huis clos, loin des regards, dans une large parcelle de terre désertée de tous ou presque ? C’est de l’un des quelques bergers faisant brouter leurs troupeaux qu’est venue la première alerte, en mars. L’éleveur rapporte alors avoir aperçu des silhouettes squelettiques se laissant mourir, les mains liées par des cordes. Non loin, des monticules de sable signalent d’étranges sépultures.

Une vue aérienne montre le site du charnier à Shakahola, à l’extérieur de la ville côtière de Malindi, le 25 avril 2023. YASUYOSHI CHIBA / AFP

Cela faisait quatre ans que Paul Mackenzie et ses adeptes habitaient silencieusement les bois. En 2019, suite à des ennuis avec la justice, le faux pasteur avait fermé et vendu son église de Malindi et déclaré publiquement sa reconversion dans l’agriculture. Cette année-là, il achète les 800 hectares de Shakahola, loin de toute civilisation, pour y continuer secrètement ses projets. Des centaines de fidèles le suivent dans son aventure mortelle.

« Il n’y a ni champ, ni culture, ni verger, ni quoi que ce soit », raconte un épicier du village de Shakahola, qui souhaite rester anonyme de peur de représailles : « Au lieu de ça, Mackenzie a fait construire six villages rustiques et racontait on ne sait trop quoi, des genres de prophéties. » La forêt est alors surnommée la « terre sainte » par les adeptes. Les hameaux fraîchement créés se nomment d’après des lieux bibliques : Nazareth, Sidon, Judée ou encore Bethléem.

Environ 70 gardes du corps

Ancien chauffeur de taxi, Paul Mackenzie s’est reconverti en pasteur évangélique il y a deux décennies. Dans un premier temps, ses prêches au vitriol poussent ses adeptes à retirer leurs enfants de l’école, à brûler leurs papiers d’identité et à ne plus se faire soigner dans les hôpitaux. « Il a ensuite demandé à ses fidèles de vendre toutes leurs propriétés et de se joindre à lui à l’approche du Jour dernier », affirme Reuben Wuange, dont le frère Maishak, 36 ans, et ses deux nièces de 3 et 6 ans ont suivi le pasteur et sont toujours portés disparus. « C’était une façon de les piéger, de les rendre dépendants », dit Reuben qui vient donner son ADN pour, éventuellement, retrouver l’un de ses proches parmi les 110 corps qui emplissent la morgue de Malindi.

Le prédicateur Paul Mackenzie, chef de la commune religieuse installée dans la forêt Shakahola, comparaît devant le palais de justice de la ville de Malindi, sur la côte kenyane, le mardi 2 mai 2023. AP

Signe qu’il ne s’imaginait pas simple fermier, Mackenzie s’entoure d’environ 70 gardes du corps, qui parcourent et protègent les bois à moto, armés d’arcs et de machettes. L’organisation est rodée. A plusieurs reprises, sa sécurité brûle les motos de riverains s’étant approchés un peu trop près de la secte.

En janvier, les événements s’accélèrent. « D’un coup, les gens de la forêt ne sont plus venus faire d’achats dans mon magasin », s’étonne l’épicier, qui trouvait « glauque » leur comportement, notamment car « ils se déplaçaient toujours en groupe, ne s’appelaient jamais pas leur prénom, et ne répondaient jamais aux questions sur la forêt ». La raison de ce changement d’attitude est macabre. En janvier, Paul Mackenzie confie à ses adeptes qu’il a été pris d’une vision. En juin frappera l’apocalypse, prophétise-t-il. Un jeûne total doit commencer. Les enfants mourront en premier, les femmes suivront. Quant au faux prophète et à sa famille, ils devront être les derniers à s’éteindre. En réalité, jamais Mackenzie ne jeûnera. Présent dans le box des accusés à Mombasa le mardi 2 mai, le prisonnier, rigolard, apparaît bien en chair. Il se plaint désormais de ne pas être nourri en garde à vue.

Fou ou habile manipulateur, avide d’argent

Alors que Shakahola est complètement bouclée par l’armée et que des centaines d’autres tombes restent à découvrir, une question reste en suspens : qu’est-ce qui animait vraiment le pasteur ? Est-il fou ou est-ce un habile manipulateur, avide d’argent ? Des interrogations renforcées par les résultats des autopsies, selon lesquels plusieurs des corps montrent des traces « d’asphyxie », « d’étranglement » et « de coups violents portés à la tête ». Des fidèles ont-ils été assassinés aux côtés des croyants affamés ?

Des travailleurs transportent les corps exhumés à la morgue, sur le site du charnier de Shakahola, à l’extérieur de la ville côtière de Malindi, le 25 avril 2023. YASUYOSHI CHIBA / AFP

« Sans être millionnaire, c’est un homme qui a de l’argent, c’est un homme intéressé », affirme Titus Mweri, un ancien cadre de l’Eglise Good News International, qui a claqué la porte de la congrégation en 2020 après avoir vu les fidèles brûler leur carte d’identité et leur diplôme d’université à la demande du pasteur. « C’est un faux pasteur évidemment, il annonçait que les pluies arrivaient et elles n’arrivaient jamais, c’était embarrassant », rigole l’ancien assistant.

Reste également à comprendre comment des instituteurs, des ingénieurs ou encore des hôtesses de l’air des quatre coins du Kenya ont pu tout sacrifier pour se laisser mourir de faim à Shakahola. « C’est un choc, je ne sais pas comment il a pu se laisser berner, c’était un homme normal, un mari, père de famille, un bon chrétien », assure Reuben Wuange, qui a perdu la trace de son frère Maishak il y a trois ans. Ce dernier, ingénieur de l’eau, ancien major de promotion de l’université d’Eldoret, a subitement vendu tous ses biens avant de rejoindre la forêt avec ses deux filles.

Certains dénoncent une opacité autour de l’affaire

Parmi les victimes, il y a aussi une hôtesse de l’air de Qatar Airways, Beatrice Anjete. La jeune femme a quitté la compagnie qatarie du jour au lendemain pour garnir les rangs la secte, après avoir « reçu la certitude de rencontrer Jésus », a-t-elle écrit à ses proches. « Il a profité de la panique de certains croyants au moment de la pandémie de Covid-19 pour les convaincre que la fin du monde était proche et qu’ils devaient venir vivre dans le désert en ne dépendant que de la volonté divine », analyse l’ancien membre Titus Mweri.

L’enquête commence à peine, mais nombre de journalistes et de membres de la société civile s’étonnent de l’opacité qui entoure l’affaire Shakahola. La morgue, l’hôpital et la forêt sont inaccessibles. Les informations sont données au compte-gouttes. Les exhumations sont suspendues.

« Les forces de l’ordre donnent l’impression de cacher l’ampleur du drame », glisse un humanitaire sur place, selon qui une centaine de tombes supplémentaires auraient déjà été trouvées mais pas déclarées par les autorités. « Où étaient les forces de police lorsque le massacre a commencé, comment ont-elles pu laisser une tuerie d’une telle magnitude se dérouler ? », tonne le leader de l’opposition, Raila Odinga, en déplacement en bordure de la forêt, vendredi 5 mai. « Cette affaire est une honte pour le Kenya et une honte pour le gouvernement ! »

Source: Le Monde