Les Gardiens de la Galaxie 3 : pourquoi c’est un chant du cygne qui devrait inquiéter Marvel
Les Gardiens de la Galaxie : Volume 3 est une réussite rassurante après de nombreuses purges super-héroïques. A moins que ce ne soit la dernière...
La fameuse lassitude tant décrite par certains sur le genre super-heroïque au cinéma est difficile à quantifier. Certes, d'autres avant lui, comme le western, ont fini par pratiquement s’éteindre, et les fiascos successifs de films tels que Black Adam, Ant-Man 3 et Shazam 2 vont dans ce sens. Pour autant, la réception de plus en plus mitigée des blockbusters adaptés de comics ne signifie pas encore un échec obligatoire au box-office (Thor 4 en sait quelque chose).
Cela étant dit, le cas du Marvel Cinematic Universe est passionnant à étudier, surtout depuis le point final apporté par Avengers : Endgame à la Saga de l’Infini. La Phase 4 a connu un démarrage plus que boiteux, incapable de retrouver ses succès d’antan (à l’exception du trip nostalgique Spider-Man : No Way Home) et de fédérer le public autour de nouveaux héros.
Dans cette équation, la sortie des Gardiens de la galaxie 3 s’avère revigorante. D’une part parce que le film s’extirpe aisément de la médiocrité institutionnalisée par certains de ses camarades, mais aussi parce que James Gunn marque avec sa conclusion de trilogie la fin d’une époque. Non seulement le réalisateur va désormais chapeauter le nouvel univers de la concurrence DC, mais il a réussi à maintenir le cap de sa saga au sein d’un système de franchise qui semble ne plus le permettre.
La jouer collectif
En découvrant Les Gardiens de la galaxie Vol. 3, il n’est pas difficile de constater à quel point James Gunn est un cas unique chez Marvel. A l’heure où la firme confie la plupart de ses projets à des réalisateurs venus de la télévision ou d’un cinéma indépendant à la Sundance, le sale gosse sorti de l’usine Troma a fait du chemin depuis ses séries B fauchées et cradingues. Pour autant, ses blockbusters ont toujours gardé cet amour du gonzo, que ce soit par les possibilités imaginatives du space opera et de sa multitude d’aliens, ou par l’attrait de la mutation et de la déformation outrancière des corps.
Dès le premier volet, on a bien senti qu’une voix se faisait entendre au travers de cet improbable “Star Wars avec un raton-laveur", et la singularité de Gunn lui a rapidement permis d’imposer des choix à Kevin Feige. Comme le fait de ne pas connecter Les Gardiens de la galaxie Vol. 2 aux grands enjeux du MCU, bien qu’en 2017, tout le monde attendait l’arrivée prochaine de Thanos. Même les fameuses scènes post-générique, devenues un emblème de la franchise, ont été exploitées par l’auteur pour le simple plaisir de la blagounette, ou pour dépeindre de petits moments humains.
Or, cette résistance à la formule impressionne d’autant plus avec ce troisième volet, qui resserre au maximum ses enjeux alors qu’il sort dans une période où Marvel impose de suivre des films et des séries sur Disney+. L’intertextualité des œuvres est plus primordiale que jamais, là où Gunn n’a jamais oublié ce qui a fait le sel et le succès du MCU : ses personnages.
Cette fois, c'est plus gris, ça ne rigole plus
En réalité, on pourrait même arguer que Kevin Feige a quelque peu bouleversé (sans doute à son insu) la dynamique habituelle du blockbuster d’action, où le spectacle est censé prédominer sur le reste. Marvel tient bien sûr à ses énormes climax numériques (à l’instar du faux plan-séquence très sympathique des Gardiens 3), mais on revient vers la marque pour ses héros, qu’on retrouve avec le même plaisir que des protagonistes de sitcom, c'est-à-dire pour leur valeur de vieux potes. Avengers 2 et sa scène de soirée avant l’arrivée d’Ultron en est l’un des exemples les plus explicites. Le quotidien de la bande n’a rien d’ordinaire, mais on assiste à une véritable dynamique de groupe dont on guette les évolutions, à des moments de flottement qui en disent plus que les actes héroïques.
Néanmoins, passé le départ de Joss Whedon après la production compliquée de L’Ere d’Ultron, Marvel n’a cessé de trébucher dans ce domaine, que ce soit en confiant les films suivants à des exécutants peu impliqués (les frères Russo en tête) ou en limitant les interactions entre héros à des clins d’œil complices avec le spectateur. Malgré ses nombreuses erreurs et cas de conscience, Iron Man a été plus ou moins voué à une éternelle stagnation “d’entrepreneur-génial-mais-connard", dont les rares variations ont dépendu de l’état de sa relation avec Pepper Potts.
Une scène sous-estimée
Come and Get Your Love
En bref, le MCU se repose par essence sur l’idée de groupe, tout en ayant souvent la facilité de traiter chaque super-héros de manière isolée avant de le jeter dans la mêlée. Avec Les Gardiens de la galaxie, James Gunn n’a pas eu ce luxe, mais en a profité pour en extraire la substantifique moelle après laquelle semble courir la firme. La formule magique, c’est bien la cohérence thématique tissée par le cinéaste, avec toute la tendresse qui le caractérise.
Peter Quill et sa bande sont avant tout des êtres brisés par diverses formes de maltraitance. Ce sont des rebus de la société qui, en créant leur propre communauté, apprennent l’empathie et à s’inclure dans le monde. Gunn les rend touchants par leur maladresse, et par la peinture de leurs systèmes de défense plus ou moins toxiques (à commencer par l’humour).
Thérapie collective
De la sorte, leur évolution est rendue essentielle par les interactions entre membres du groupe, et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si certains méchants du premier film en viennent à changer de camp, comme Nebula et Yondu. L’importance prise par ces deux-là est même primordiale, parce qu’elle reflète l’une des problématiques centrales de la trilogie : savoir quand pardonner, et quand se protéger de relations abusives (Thanos).
La force de James Gunn, c’est d’avoir traité au premier degré, et avec les atours de la science-fiction, la tempête intérieure de ses héros. Thanos, Ego, et le Maître de l’évolution ont beau être les pères de nombreuses souffrances, les Gardiens se battent régulièrement contre eux-mêmes, notamment lorsqu’ils rejettent les autres membres de l’équipe.
Il est donc merveilleux que le réalisateur ait pu terminer sa trilogie en se focalisant sur les origines si secrètes et taboues de Rocket, dont on comprend dès le premier film qu’elles ont défini son comportement autodestructeur.
On craque
Ce livre dont il est le héros
Il y a d’ailleurs une réplique de la loutre Lylla envers le raton-laveur qui définit à la perfection les enjeux du long-métrage : “C’est ton histoire, mais tu ne le savais pas encore”. Rocket n’est pas seulement le cœur émotionnel des Gardiens de la galaxie Vol. 3. Il prouve que la trilogie dans son ensemble a été pensée sous le prisme du character-driven, c’est-à-dire une écriture qui met en avant les personnages et leur évolution en opposition au plot-driven, un récit où l’intrigue et sa suite d’événements prennent l’ascendant sur le reste.
Les décisions des protagonistes influent sur le déroulé de la narration, et révèlent leur nature profonde. Pour être clair, les meilleurs Marvel sont souvent ceux qui optent pour cette méthode. Cependant, le gigantisme de l’univers étendu ne le permet plus depuis Infinity War et Endgame, plot-driven plus ou moins efficaces où l'on pourchasse les Pierres d'Infinité. Pour autant, cette norme est devenue en à peine quelques années le signe majeur d’essoufflement du genre.
Beaucoup de characters, mais moins de driven
A privilégier l’intrigue et la progression logique d’un point A à un point B, les films de super-héros recyclent leurs codes de manière programmatique, quitte à ne même plus réfléchir à l’obtention de pouvoirs, à l’emploi de MacGuffins magiques et de méchants interdimensionnels, ou encore aux limites d’un Multivers trop vite présenté comme la solution à tous les problèmes de la franchise.
Et depuis quelque temps, les rares films orientés vers du character-driven dans le MCU sont en panne sèche, et brassent du vent avec humour pour pallier des personnages qui résistent à leur évolution (Thor 4, toujours lui).
"Pourquoi c'est toujours moi qu'on tape ?"
The Gunn Dynasty
Les Gardiens de la galaxie, de leur côté, surprennent, et pervertissent même nos attentes parce que la progression de l’histoire dépend de celle, parfois lente, des personnages. Beaucoup ont reproché au deuxième volet son manque “d’enjeux”, notamment en ce qui concerne la relation entre Quill et Gamora, qui reste à un stade ambigu et platonique. Oui, ce n’est pas satisfaisant, mais c’est voulu, parce que le film a passé son temps à démontrer qu'ils souffrent respectivement de traumatismes vivaces, qu’ils doivent apprendre à traiter avant de pouvoir s’aimer.
Il en va de même pour cet ultime opus, et le retour d’une nouvelle version de Gamora après son décès dans Infinity War. James Gunn joue avec cette déception, et l’embrasse. Non, Peter ne peut pas aimer cette Gamora, car ce n’est pas celle qu’il a connue. Le cinéaste assume un ton doux-amer, qui déjoue l’éternelle permanence de héros gravés dans le marbre (ou dans les pages de comics), et pouvant défier la mort.
L'amour ne dure qu'une Phase
Le départ de James Gunn confirme, au-delà de la douce mélancolie qui émane de son film, que le MCU devrait ressentir un manque. Le cinéaste a été le seul à savoir s’approprier la machine pour mieux la transcender, tandis que ceux qui ont essayé après lui ont globalement signé des œuvres qui ne ressemblent ni vraiment à un Marvel aseptisé, ni à un long-métrage plus personnel (Chloé Zhao avec Les Eternels à tout hasard).
L’artiste a pu aller au bout de sa démarche (même avec le dispensable mais rigolo Holiday Special), et est passé entre les gouttes lorsque la firme expérimentait encore. Cette soif de tentatives s’est plus ou moins terminée avec la Phase 2, mais a pavé la voie pour la plupart des blockbusters de ce type. Doit-on y voir un chant du cygne ? Pas forcément, mais il est clair qu’Hollywood doit concevoir la limite de son cahier des charges monstrueux pour espérer sortir d’une mauvaise passe, après avoir cru trop vite que le public du MCU allait demeurer captif après Endgame.
Le cinéma de super-héros be like
Car l’autre prouesse des Gardiens de la galaxie, c’est de s’être imposée comme valeur sûre de Marvel alors que personne ne connaissait le comics ou les personnages. Le succès du premier film était loin d’être garanti, mais il a prouvé à Marvel la valeur de sa marque. Près d’une décennie plus tard, les choses ont changé, et Kevin Feige peine à populariser les fonds de tiroir comme Shang-Chi, Les Eternels et autres Ms. Marvel censés prendre la relève.
Les personnages sont devenus impuissants, perdus dans les limbes d’un Multivers et d’un néolibéralisme qui se contente d’essorer ce qu’ils représentent. Avec James Gunn, on revient toujours à la base : faire de ces héros les maîtres de leur propre histoire.
Source: EcranLarge