Réintégration de la Syrie au sein de la Ligue Arabe: "C'est une humiliation pour le peuple syrien"
Entretien
Les délégués et les ministres des Affaires étrangères des États membres se réunissent au siège de la Ligue arabe au Caire, en Égypte, le dimanche 7 mai 2023.
Même si le réchauffement diplomatique se préparait depuis plusieurs mois, la Ligue Arabe effectue ce dimanche 7 mai 2023 un retournement spectaculaire, en réintégrant la Syrie dans son organisation. Le régime de Bachar el-Assad en avait été exclu en 2011. Il faut se souvenir qu’en 2013, lors d'un sommet de la Ligue arabe à Doha au Qatar, c'est l'opposition anti-Assad qui occupait le siège de la Syrie.
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Hasni Abidi est spécialiste du monde arabe, directeur du Centre de recherches spécialiste du monde méditerranéen (Cermam).
RFI : Hasni Abidi, comment analyser la décision des ministres des Affaires étrangères de réintégrer la Syrie au sein de la Ligue arabe ?
Hasni Abidi : Il s'agit d'un tournant dans la vie de la Ligue arabe. Elle réintègre, avec un consensus fort, un régime qu’elle avait banni de ses rangs alors que le régime syrien n’a pas répondu aux conditions pour son retour. C’est donc une victoire pour le régime syrien et aussi un geste spectaculaire de la part des ministres des Affaires étrangères arabes.
Pourquoi ce geste intervient-il aujourd’hui ?
C’est l'entrée en lice de la nouvelle diplomatie volontariste du prince héritier Mohammed ben Salman qui a été décisive. Ce geste de l’Arabie Saoudite a été facilité par le fait que les Émirats arabes unis ont déjà normalisé leurs relations avec Damas, et que le pays hôte de la Ligue arabe, à savoir l'Égypte, entretenait pour sa part des relations sur le plan sécuritaire avec le régime syrien. Enfin, le fait que très peu d’États étaient réservés concernant le retour de la Syrie a facilité la vie de la diplomatie saoudienne qui voulait vraiment marquer un coup et notamment le prince héritier. Donc, on peut parler d'une pression saoudienne à la fois sur les États arabes, mais aussi sur la Ligue des États arabes en faveur de la réintégration de la Syrie. L'Arabie saoudite qui accueille le 19 mai à Jeddah un sommet des pays arabes, voulait vraiment faire de ce sommet, celui du retour de la famille arabe. C'est chose faite.
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C'est la page du printemps syrien qui se tourne définitivement ?
C'est une humiliation d'abord pour le peuple syrien, parce qu'il faut rappeler que les conditions de la Ligue arabe étaient claires. Pas de retour sans une transition politique conformément aux décisions du Conseil de sécurité, et bien sûr, conformément aussi à toutes les réunions entre les États arabes, les amis de la Syrie avec la communauté internationale. C'est la réintégration d'un régime syrien qui n'a rien lâché concernant les conditions de son retour, sur la relation avec l'opposition, sur la question des droits humains, sur la question des autres minorités, notamment les Kurdes. C'est une victoire à la fois pour le régime, mais surtout une victoire pour ses parrains, la Russie et l’Iran qui ont permis à ce régime de résister à l'opposition et de mieux résister aussi à la pression arabe depuis sa suspension de la Ligue.
Le séisme qui a frappé la Turquie, mais aussi la Syrie, en février 2023, a-t-il également été l’outil du rapprochement pour la Syrie ?
En effet, la Syrie a profité de ce séisme, de ce qu'on appelle une « diplomatie de catastrophe ». Ce tremblement de terre a incité plusieurs États, tels que l'Algérie, les pays du Golfe, a organisé un pont aérien, même l'Arabie saoudite qui accueille une plateforme de l'opposition. Tous les pays arabes, sauf le Liban, l’Irak, l’Algérie qui boudent l’opposition, soutiennent l'opposition et évidemment, cette diplomatie de catastrophe suite au tremblement de terre en Turquie et en Syrie a facilité les contacts. Deuxième élément, ce sont les questions sécuritaires. Jamais, en tout cas, entre Damas et les pays du Golfe, les relations ont été aussi bonnes sur le plan sécuritaire. La question aussi du captagon, du trafic de drogue a aussi été un élément essentiel avec la Jordanie, avec l'Arabie saoudite. Mais c'est vrai que le régime syrien a su profiter du tremblement de terre pour renouer avec l'ensemble des États arabes.
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Cette réintégration de la Syrie dans la famille arabe est une étape vers un plein retour au sein de la communauté internationale ?
Le retour de la Syrie dans la famille arabe et dans la Ligue arabe va certainement inciter d'autres États qui attendent justement cette décision pour renouer avec le régime syrien. Il existe des États européens qui ont déjà engagé des pourparlers avec le régime syrien dans la mesure où pour eux, la réintégration de Bachar el-Assad est actée. Ils ne peuvent pas être plus royalistes que le roi, qu’ils ne peuvent pas demander indéfiniment le départ de Bachar el-Assad, l'instauration des conditions politiques, notamment les relations avec l'opposition, pour renouer et pour normaliser leur relation avec le régime syrien. Je pense que la Syrie va maintenant développer une diplomatie offensive en direction des États européens parce qu’elle a besoin de l'Europe pour son projet de reconstruction et des monarchies du Golfe pour relancer son économie qui est dans un état chaotique. Ceci explique probablement l'empressement de Bachar el-Assad à renouer aussi avec les États du Golfe.
Effectivement, pour Damas, normalisation et reconstruction sont en quelque sorte liées ?
La reconstruction du pays est une priorité pour le régime syrien qui est en difficulté économique. Longtemps, l'Europe, mais aussi les États-Unis, ont conditionné leur soutien économique à un avancement en matière de transition politique. Malheureusement, cette condition n'a pas été remplie par le régime syrien. Après la normalisation avec les États arabes, il devient difficile pour les pays occidentaux de maintenir l’exigence d’une transition en échange d’une reconstruction économique. L'Europe ne va pas tarder, si le régime syrien montre une certaine disponibilité, à proposer de cofinancer les projets de reconstruction de la Syrie.
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Source: RFI