Pour discréditer l’Ukraine, la Russie organise de faux rassemblements en Europe
EnquêteA Paris, Bruxelles ou La Haye, des publications sur les réseaux sociaux prétendent montrer des rassemblements contre l’Ukraine ou l’OTAN. Des documents, que « Le Monde » et ses partenaires ont obtenus, montrent qu’ils ont été planifiés par la Russie.
Samedi 11 février, la place de la République, à Paris, est noire de monde. Des milliers de manifestants sont rassemblés contre la réforme des retraites. Au milieu de la foule, trois hommes se distinguent ; l’un d’eux tient une pancarte à l’inscription en lettres capitales : « Union européenne, Etats-Unis, arrêtez de financer la guerre en Ukraine ».
Moins d’un mois plus tard, le 5 mars, le même homme se tient place Saint-Pierre, dans le 18e arrondissement de Paris. Cette fois, il effectue un salut nazi devant des banderoles affublées d’un drapeau ukrainien, où l’on peut lire « Erdogan, le tremblement de terre est le prix à payer pour avoir accueilli des touristes russes ». Comme lors du premier événement, le tout est capturé par une caméra, puis publié sur les réseaux sociaux Facebook, TikTok et YouTube.
Le Monde a pu retracer plus d’une dizaine d’actions du même ordre dans plusieurs capitales européennes. A chaque fois, le message maladroit diffusé vise à discréditer l’Ukraine, l’Union européenne ou la Turquie. On y retrouve les mêmes pseudo-manifestants et le même type de publications sur les réseaux sociaux. A la manœuvre de cette opération : les services de renseignement russes.
https://assets-decodeurs.lemonde.fr/redacweb/DEFDEF Erdogan/_02_01.jpg https://assets-decodeurs.lemonde.fr/redacweb/DEFDEF Erdogan/_02_01.jpg Le même homme est reconnaissable sur deux fausses manifestations anti-Ukraine et anti-Erdogan à Paris en 2023. Le Monde false false false false false false false Voir la vidéo
Brûler le drapeau turc ou taguer des slogans
Le Monde, en partenariat avec le média en ligne d’opposition russe Dossier Center et les médias européens DR, Süddeutsche Zeitung, NRK, Westdeutscher Rundfunk, Expressen, SVT, Delfi et les sociétés publiques allemends WDR/NRD, a obtenu et authentifié des documents rédigés par des membres des services de renseignement russes.
L’un des documents, titré « Projet anti-Erdogan », commente les relations entre la Turquie et l’Europe. Les services russes y estiment que la « Turquie et les pays de l’Union européenne connaissent d’importantes tensions » et mentionnent les « rudes manœuvres diplomatiques » entre la Turquie et la Suède suite à la suspension du processus d’adhésion du pays scandinave à l’OTAN. L’auteur affirme aussi qu’il y a, en Europe, un « accroissement du sentiment anti-Islam ».
Pour jouer sur ce « sentiment », le rapport préconise de demander à des « résidents locaux ou migrants » de se filmer en train de brûler un drapeau turc ou de taguer des slogans « insultant Erdogan » dans plusieurs villes (Paris, La Haye, Bruxelles, Francfort).
Selon un agent de renseignement européen spécialisé dans ce type d’opérations (qui préfère garder l’anonymat), un projet de cette nature est tout à fait plausible. « Une partie des campagnes de désinformation russes consistent à s’appuyer sur des tensions réelles, comme celles qui existent déjà entre la Turquie et l’Allemagne ou entre la Turquie et la France, dans ce type de guerre hybride », explique-t-il.
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Source: Le Monde