Réchauffement climatique. Canicule, sécheresse, pollens… Voici ce qu’il a déjà changé en France

May 08, 2023
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Les débats sur le réchauffement climatique se concentrent souvent sur les conséquences que celui-ci aura dans le futur, et sur les moyens de rester sous tel ou tel seuil de températures en 2050 ou 2100. Mais, occupés à éviter un potentiel scénario catastrophe, on en oublierait presque que le réchauffement climatique a déjà profondément modifié notre climat et nos vies. C’est ce que rappelle à Ouest-France Éric Brun, secrétaire général de l’Observatoire national des effets du réchauffement climatique.

Le réchauffement climatique est déjà une réalité : par quelle hausse de température s’est-il traduit en France ?

En France métropolitaine, les températures moyennes observées durant la dernière décennie étaient 1,7 °C plus élevées que celles des trente premières années du XXe siècle. C’est plus important que le réchauffement au niveau mondial, qui est de 1,1 °C.

Mais c’est le cas de la plupart des surfaces continentales, parce que les océans mettent plus de temps à se réchauffer. Sinon, la France est dans la moyenne de l’Europe de l’Ouest. Pour rappel, le climat ne connaît pas de frontière : le réchauffement en France est une conséquence de toutes les émissions au niveau mondial.

Ce niveau de réchauffement favorise la survenue de vagues de chaleur : dans quelle mesure celles-ci se sont-elles multipliées ?

Entre 1947 et le début des années 2000, il y a eu seulement 16 vagues de chaleur en France. Mais, depuis les années 2000, on a déjà eu 30 vagues. Avant les années 2000, on avait donc en moyenne 2 jours de vagues de chaleur par an. On est passé à 10 durant la décennie 2011-2020.

Date et intensité des 46 vagues de chaleur enregistrées en France depuis 1946. | METEO FRANCE Voir en plein écran Date et intensité des 46 vagues de chaleur enregistrées en France depuis 1946. | METEO FRANCE

Et les sécheresses, sont-elles plus nombreuses ?

Avec la hausse des températures, l’évapotranspiration (eau évaporée avant de rentrer dans le sol ou transpirée par les plantes) augmente. Donc les sécheresses hydrologiques (celles qui ont trait au cours d’eau ou aux nappes phréatiques) sont automatiquement plus nombreuses.

Le Lac de Bouverans, dans le Doubs, en août 2022. | SEBASTIEN BOZON / ARCHIVES AFP Voir en plein écran Le Lac de Bouverans, dans le Doubs, en août 2022. | SEBASTIEN BOZON / ARCHIVES AFP

Concernant les précipitations, la France est située entre deux zones : le Nord en reçoit plus et le Sud en reçoit moins. Mais, en moyenne, le nombre de jours de sécheresse météorologique (journées sans pluie) a augmenté, il n’y a absolument aucun doute. En moyenne, la part du territoire touché chaque année par la sécheresse dépasse désormais les 10 %, contre environ 5 % dans les années 1960.

Part du territoire français touchée chaque année par la sécheresse | METEO FRANCE / ONERC Voir en plein écran Part du territoire français touchée chaque année par la sécheresse | METEO FRANCE / ONERC

Ces sécheresses favorisent le phénomène de retrait-gonflement des sols argileux. Ce dernier fragilise et fissure les habitations qui subissent la rétractation des sols lorsqu’ils sont secs puis leur gonflement quand ils se chargent à nouveau d’eau. Quelle ampleur ce phénomène prend-il ?

Entre 1989 et 2019, le retrait-gonflement des argiles a représenté 20 % des arrêtés de catastrophes naturelles, et un tiers des coûts d’indemnisation. Il est clair que l’augmentation de la fréquence des sécheresses sévères en est la cause.

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Mais cela se conjugue aussi avec les normes de construction qui évoluent et des constructions qui se font parfois dans des zones plus argileuses qu’auparavant. À terme, il y aura une dizaine de millions de maisons individuelles potentiellement menacées par ce phénomène.

Canicules et sécheresses aggravent également le risque d’incendies.

Faire un lien direct entre l’ampleur des feux de forêts d’un été et le changement climatique en lui-même est toujours délicat, parce qu’il y a aussi un facteur humain dans le déclenchement de ces feux. Mais, le Giec dit bien que les conditions météorologiques propices au feu sont plus fréquentes que par le passé.

En France, on constate par exemple que la période d’observation de ces feux à tendance à s’allonger. En 2022, on a eu des feux jusqu’en novembre. Et la Bretagne est bien placée pour savoir que l’emprise géographique de ces feux a également évolué.

Dans quelle mesure la neige s’est-elle raréfiée ?

Le nombre de jours de neige en plaine diminue partout, et parfois fortement. Météo France montre par exemple qu’entre 1959 et 2018 le nombre de jours avec un centimètre de neige au sol a baissé de 90 % dans les Alpes-Maritimes ou l’Hérault. Et cette baisse est de 80 % dans le Morbihan, les Deux-Sèvres ou la Lozère.

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Mais il y a encore des variations selon les années, avec parfois plusieurs jours de neige durant un seul hiver. En montagne, l’enneigement diminue également. Au col de Porte (Isère), l’enneigement a diminué d’un tiers depuis le début des mesures, à la fin des années 1950.

Et le gel ?

Le nombre moyen de jours de gel diminue fortement. Toutes les régions sont concernées mais le centre et le nord-est du pays le sont davantage. À Nancy, entre les années 1960 et 2010, le nombre de jours de gel par an est ainsi passé de plus de 80 à une cinquantaine. Mais on a et aura encore des épisodes de gel tardifs qui peuvent mettre à mal la végétation, car la végétation démarre plus tôt au printemps.

Une prairie gelée à Brécé (Ille-et-Vilaine), en décembre 2016. | MARC OLLIVIER / ARCHIVES OUEST-FRANCE Voir en plein écran Une prairie gelée à Brécé (Ille-et-Vilaine), en décembre 2016. | MARC OLLIVIER / ARCHIVES OUEST-FRANCE

Justement, comment le réchauffement climatique impacte-t-il la végétation ?

Pour les forêts, le souci n’est pas forcément le changement lent mais la récurrence des sécheresses. Petit à petit, des arbres fragilisés dépérissent et leurs espèces sont donc concurrencées par d’autres essences. Cela peut être le cas de l’épicéa, typique des régions froides, par exemple. On est aussi très inquiet pour le hêtre, typique des forêts de l’Est et des montagnes. C’est un arbre très peu adapté aux épisodes chauds et secs.

De combien le niveau de la mer s’est-il élevé ?

Depuis le début de l’ère industrielle, le niveau de la mer a augmenté d’une vingtaine de centimètres au niveau mondial. Cela varie selon les littoraux mais, en France, on est relativement proche de la moyenne mondiale.

Un peu plus de la moitié de cette hausse est due à la fonte des glaciers de montagne et d’une partie des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique. Le reste est lié à la dilatation thermique des océans, qui gonflent quand ils sont plus chauds.

Par ailleurs, le rythme d’augmentation du niveau de la mer augmente d’une manière quasi-exponentielle : on est maintenant à 4 mm par an en moyenne, contre environ 2 mm dans les années 1990.

Élévation du niveau mondial des mers et océans par rapport au niveau de 1993. | CNES / LEGOES / ONERC Voir en plein écran Élévation du niveau mondial des mers et océans par rapport au niveau de 1993. | CNES / LEGOES / ONERC

Quelles conséquences cela a-t-il ?

On sait qu’on a et aura de plus en plus de submersions marines. Mais on peut très bien avoir des années sans, si le hasard fait que les grandes tempêtes ont lieu alors que les coefficients de marée sont peu élevés ou que la marée est basse. L’élévation du niveau des mers va également intensifier l’érosion côtière des côtes sableuses.

L’immeuble Le Signal, à Soulac-sur-Mer (Gironde), détruit du fait de l’érosion de la côte, en février 2023. | THOMAS BRÉGARDIS / OUEST-FRANCE Voir en plein écran L’immeuble Le Signal, à Soulac-sur-Mer (Gironde), détruit du fait de l’érosion de la côte, en février 2023. | THOMAS BRÉGARDIS / OUEST-FRANCE

Les tempêtes, justement, sont-elles devenues plus fréquentes ?

Aujourd’hui, on ne détecte aucune modification statistiquement fiable de la fréquence et de la sévérité des tempêtes hivernales.

Le réchauffement climatique a-t-il rendu certains risques moins prégnants ?

Oui, ceux liés aux vagues de froid. Elles sont moins sévères, moins fréquentes et durent moins longtemps. À titre d’exemple, les quatre vagues de froid les plus longues et les plus sévères qu’a connues la France depuis 1945 ont été observées il y a déjà plus de 30 ans (février 1956, janvier 1963, janvier 1985 et janvier 1987).

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Cela ne veut toutefois pas dire qu’il n’y aura plus de vagues de froid : elles seront simplement plus rares et moins importantes.

Date et intensité des vagues de froid en France, depuis 1940. | METEO FRANCE / ONERC Voir en plein écran Date et intensité des vagues de froid en France, depuis 1940. | METEO FRANCE / ONERC

Pour suivre ces différents impacts, l’Onerc a réuni une batterie d’indicateurs parfois très précis (expansion de la chenille processionnaire du pin, date des vendanges, etc.). Pourquoi ?

On a besoin de chiffres fiables pour prendre des mesures d’adaptation. Pour les décideurs, c’est toujours difficile d’expliquer qu’on doit cultiver avec moins d’eau ou ne pas construire dans des zones qui pourraient être victimes de l’érosion côtière. Il faut donc qu’ils aient des chiffres incontestés produits par la communauté scientifique, de façon à ce que leurs administrés acceptent le diagnostic de la situation.

Prenons l’exemple de vos indicateurs sur la date des vendanges. Comment ont-ils évolué ?

Ce qui apparaît clairement, c’est que les dates de vendanges sont de plus en plus précoces. En moyenne, les vendanges ont lieu 18 jours plus tôt qu’il y a 40 ans, même si, évidemment, cela varie toujours d’une année sur l’autre, et d’un cépage à l’autre. Et si on constate cet avancement sur la vigne, on peut également le constater dans beaucoup d’autres pratiques agricoles.

Evolution de la date des vendanges dans plusieurs vignobles français, depuis 1900. | ONERC Voir en plein écran Evolution de la date des vendanges dans plusieurs vignobles français, depuis 1900. | ONERC

Vous suivez également les quantités de pollens de bouleaux !

Pour les pollens de bouleaux, on voit que la production est très liée à la croissance de l’arbre lors de l’été précédent, qui est elle-même liée à la chaleur.

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La hausse des températures entraîne donc une hausse de la quantité de pollens de bouleau émis et donc une augmentation du risque d’allergies.

Au quotidien, a-t-on bien conscience de tous ces impacts, petits comme grands ?

Globalement, grâce aux scientifiques, aux ONG, aux médias et aux décideurs politiques, il y a maintenant un vrai partage du constat. Le niveau de prise de conscience des impacts du réchauffement climatique augmente continuellement. Par exemple, lorsqu’il y a des canicules, les gens ne sont plus surpris comme ils le furent en 2003.

Cette prise de conscience semble toutefois assez récente.

Ce qu’on vit actuellement est plus ou moins ce que prédisait le Giec il y a trente ans. Mais comme à l’époque, on ne détectait pas encore les phénomènes prédits, on avait tendance à oublier la menace. Aujourd’hui, ils se produisent de façon régulière, et la communauté scientifique est capable de dire qu’ils ont un lien direct avec le réchauffement climatique.

Source: Ouest-France