Elections en Turquie : " En promettant d’affranchir le pays des controverses religieuses, Kiliçdaroglu s’inscrit dans les pas d’Atatürk "

May 09, 2023
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« Je suis un alévi. » Prononcée dans une vidéo visionnée près de 115 millions de fois sur son compte Twitter, cette phrase de Kemal Kiliçdaroglu a marqué la campagne électorale turque en cours. Désigné par six partis d’opposition comme le représentant d’une « alliance nationale » pour succéder à Recep Tayyip Erdogan lors de l’élection présidentielle du 14 mai, Kemal Kiliçdaroglu, dirigeant du Parti républicain du peuple (CHP), a donc fait état de son appartenance à l’alévisme, une minorité discrète au sein de l’islam et parfois considérée comme hérétique en raison d’une approche philosophique et humaniste de la religion.

Si le modèle assimilationniste turc ne tolère traditionnellement pas beaucoup l’affichage d’appartenances communautaires, une évolution importante a été engagée depuis l’arrivée au pouvoir de Recep Tayyip Erdogan et de son parti, le Parti de la justice et du développement (AKP). En effet, dans le cadre d’une libéralisation générale, les appartenances ethnico-religieuses ont été plus aisément évoquées : les mots « Kurde », « Tcherkesse », « Laze », « Arménien » apparaissent, par exemple, plus fréquemment dans les débats publics depuis 2002. En s’adressant aux 15 à 25 millions d’alévis qui se réclament d’Ali (gendre du prophète de l’islam, Mahomet), le président turc, Recep Tayyip Erdogan, sunnite, ira même jusqu’à déclarer à plusieurs reprises : « Si l’alévisme est l’amour d’Ali, je suis le premier des alévis. »

Quelques semaines encore avant la vidéo, la marginalisation de cette minorité qui a subi plusieurs massacres au cours de son histoire et la tradition kémaliste laïque avaient poussé à la discrétion l’ancien haut fonctionnaire. Les représentants de l’exécutif, président en tête, n’ont pas manqué de réagir : « Personne ne t’a demandé si tu es alévi ou pas. Nous avons aussi du respect pour les alévis (…), mais quel intérêt de le dire ? »

Lors de la campagne présidentielle de 2014, Erdogan avait toutefois déclaré, en rappelant subtilement les convictions religieuses de son opposant, qui soutenait à l’époque le candidat Ekmeleddin Ihsanoglu : « Kiliçdaroglu, tu peux être alévi. Moi, je te respecte. Il ne faut pas en avoir honte ni en avoir peur. Dis-le tranquillement. Moi, je suis sunnite. Je le dis tranquillement. Il ne faut pas en avoir honte. Il ne faut pas tromper les gens. »

Extrême polarisation

Sans en faire un étendard, le candidat kémaliste a donc souhaité couper l’herbe sous le pied d’une possible instrumentalisation, bon nombre d’observateurs ne pensant pas possible la victoire d’un président alévi. Pourtant, au-delà du contexte économique et des conséquences des terribles tremblements de terre de février, le mode de scrutin – qui était souhaité par l’exécutif – rend la probabilité d’une alternance très élevée. Depuis le référendum de 2017, le président est à la tête de l’Etat avec des prérogatives élargies en étant élu au scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Ces modalités conduisent tous les opposants à s’unir autour d’un vote de rejet s’apparentant à un référendum.

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Source: Le Monde