Clémentine Autain : " Ce régime sous lequel nous vivons depuis soixante-cinq ans est une anomalie "
La Ve République a désormais sa place dans la rubrique nécrologique. En validant le texte de loi sur les retraites, les si mal nommés sages ont porté le dernier coup à un régime à bout de souffle. Il faut en changer, engager le processus constituant pour une VIe République. C’est la condition de la justice et de la paix civile.
Aujourd’hui, comment accepter qu’une loi majeure pour le quotidien des Français, obligeant à travailler deux années supplémentaires, puisse être promulguée, alors que le peuple n’y consent pas ? La Constitution le permet, et le président s’appuie sur la légalité pour mieux balayer toute forme de légitimité. La démocratie sociale, étant donné le rejet du texte par tous les syndicats ? Piétinée. L’avis des Français, très majoritairement opposés au projet du gouvernement, ainsi que la colère, voire la rage, de millions de manifestants et grévistes ? Méprisés. Le vote de l’Assemblée nationale ? Esquivé. Résultat : en Ve République, un président a le droit d’imposer sa loi contre la majorité. C’est dire si la légalité ne peut être superposée, imbriquée, confondue avec la démocratie. C’est dire aussi combien nos rouages institutionnels sont inadaptés à l’aspiration du peuple à être souverain, promesse républicaine s’il en est.
D’autres avant moi, nombreux à gauche, ont dénoncé le « coup d’Etat permanent » que permet la Ve République – y compris, parfois, malheureusement, avant de s’y conformer sans complexes. Depuis la naissance de ce régime, le ver est dans le fruit. La Ve a été faite par et pour un général en temps de guerre, dans le contexte d’un climat insurrectionnel et sous la pression d’un coup d’Etat de militaires partisans du gaullisme et opposés à l’indépendance de l’Algérie. Quand de Gaulle arrive au pouvoir en 1958, c’est au nom du retour à la stabilité du régime et pour « sauver l’empire colonial » contre les « barbares » qu’il rédige une nouvelle Constitution, soumise aux Français par un référendum qui ne fut rien d’autre qu’un plébiscite. Des pouvoirs exorbitants sont alors conférés au président, au détriment du législatif et de la démocratie directe.
Violence, ressentiment, insurrection
Ce régime, sous lequel nous vivons depuis soixante-cinq ans, est une anomalie. En consacrant l’hyper-présidentialisme, il nous éloigne du nécessaire partage du pouvoir. Aucun régime démocratique ne connaît un tel système, donnant tant de pouvoir à un seul homme. Ailleurs, quand il n’y a pas de majorité, la décision ne revient pas à une minorité : on cherche des coalitions.
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Source: Le Monde