Malgré l’affaire Vincent Lambert, les Français peinent encore à rédiger leurs directives anticipées

May 10, 2023
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DOCUMENTAIRE - Ce que l’on appelle aujourd’hui « l’affaire Lambert » aura duré plus de dix ans, de 2008 à 2019. Elle commence par une histoire tristement banale : celle d’un jeune infirmier de 32 ans, Vincent Lambert, qui, en 2008, est victime d’un accident de la route. Le choc est irréversible pour ce jeune père d’une petite fille de deux mois : il se retrouve alors lourdement handicapé et dans l’incapacité de s’exprimer.

Ce n’est malheureusement que le début d’un drame qui va déchirer une famille et s’inviter, par le biais des médias, dans le quotidien des Français pendant plus de dix ans. Après plusieurs années de soins et de rééducation, les médecins préconisent un arrêt des traitements. La vie de Vincent Lambert, dont le niveau de conscience est impossible à évaluer, ne tient qu’à l’alimentation qu’il reçoit par des machines.

D’un côté, sa femme Rachel Lambert et d’autres membres de sa famille, dont certains de ses frères et sœurs, souhaitent faire appliquer cette décision. De l’autre, ses parents, catholiques traditionalistes, et notamment sa mère Viviane Lambert, s’y opposent. C’est le début d’une bataille qui va diviser la France, à coups de procédures judiciaires et de prises de parole médiatiques, et qui oppose à l’époque deux visions de ce que Vincent Lambert aurait voulu.

Ouvrir un « dialogue dans les familles »

Car c’est bien cela qui était en jeu : qu’est-ce que cet homme aurait voulu pour lui-même ? Alors que la loi autorise, depuis 2005, toute personne à rédiger des « directives anticipées », pour exprimer ses volontés en matière de traitements lors de sa fin de vie et désigner « une personne de confiance » dont l’avis prévaudra, Vincent Lambert, comme la plupart des Français, et malgré le fait qu’il était infirmier, n’en a pas laissé. À l’époque, ces dispositions sont peu connues et non contraignantes pour les médecins.

Pour Élodie Buzuel, l’autrice du documentaire « Lambert contre Lambert : au nom de Vincent », diffusé en quatre épisodes sur Disney+ à partir de ce mercredi 10 mai, c’est justement l’un des messages de la série. « Si Vincent Lambert avait rédigé ses directives anticipées, il n’y aurait pas eu d’affaire Lambert, résume-t-elle, après deux ans d’enquête. J’aimerais que ce documentaire ouvre un dialogue dans les familles et engage les gens à écrire leurs directives anticipées. Et à se poser ces questions sur la fin de vie, pas seulement vis-à-vis des personnes âgées. »

Avec le coréalisateur de la série Vincent Trisolini, Élodie Buzuel a interviewé une trentaine de protagonistes, famille, médecins, avocats, personnalités politiques et journalistes. Pour raconter une histoire qui aura été largement médiatisée, de manière morcelée, jusqu’à son épilogue le 11 juillet 2019, jour de la mort de Vincent Lambert au CHU de Reims. « Trois ans sont passés depuis son décès, ce qui permet de se replonger un peu différemment, de manière un peu moins passionnée, plus apaisée, sur cette histoire et sur l’ampleur qu’elle a prise dans la société française », souligne Élodie Buzuel.

C’est la première fois que tous les protagonistes reviennent, dans la durée, sur ce drame. Et la dernière pour la mère de Vincent Lambert, décédée en décembre 2022.

8 % des Français ont rédigé des directives anticipées

Hasard du calendrier, cette série documentaire est diffusée alors que la Convention citoyenne sur la fin de vie vient de rendre ses conclusions et que le Président de la République a promis un projet de loi d’ici la fin de l’été. En la suivant de manière chronologique, de 2008 à 2019, on observe aussi comment cette histoire, qui aurait dû rester privée, aura contribué à faire évoluer la loi sur la fin de vie, sous l’impulsion du président François Hollande.

En 2016, la loi Claeys-Leonetti qui instaure une « sédation profonde et continue » jusqu’au décès pour des malades atteints d’une « affection grave et incurable », renforce aussi le poids des « directives anticipées », qui s’imposeront désormais aux médecins. Mais toujours aussi peu de Français les rédigent. À la mort de Vincent Lambert, un grand nombre de gens s’intéressent à la question. Mais cette « vague » s’éteindra rapidement.

« C’est encore aujourd’hui un sujet tabou », soulignait en mars auprès du HuffPost Olivier Falorni, député à la tête d’une mission d’évaluation de la loi Claeys-Léonetti. En octobre 2022, une enquête pilotée par le Conseil national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV), montrait que 57 % des répondants ne connaissaient par les directives anticipées. Parmi ceux qui en connaissaient l’existence, seuls 18 % (33 % pour les plus de 65 ans) les avaient rédigées au moment de l’étude – soit moins de 8 % de l’ensemble des répondants.

« Ça révèle des enjeux plus profonds, qui sont nos propres peurs »

Des chiffres qui montrent que la loi actuelle est peu connue. « On pourrait par exemple envisager une plus grande implication des médecins traitants, avec pourquoi pas des consultations dédiées à cela », propose ainsi Olivier Falorni. Évoquer le sujet en famille, c’est l’un des objectifs de la série, diffusée sur chaîne Disney+. « La loi actuelle est mal connue, souligne Julie Perris, productrice du documentaire. Peut-être que la dénomination n’est pas la bonne, que ce n’est pas le bon terme. Dans les évolutions de réflexion, la question de la pédagogie se pose. »

Dans ses conclusions, la Convention citoyenne évoquait elle aussi la nécessité d’encourager les Français à écrire leurs directives anticipées. « Parler de la mort, oser en discuter, ça reste totalement tabou. Ça révèle des enjeux plus profonds, qui sont nos propres peurs, résume Élodie Buzuel. Il y a un effet miroir dans ce documentaire : cette histoire parle de nous, de la mort, mais aussi de la dégradation du corps, de la conscience qui s’altère… Dans une société où une personne sur deux sera touchée par une maladie neurodégénérative en vieillissant, ça parle aussi de ça et de l’évolution d’une loi possible. »

Autre angle mort dévoilé par cette série documentaire : les cas des personnes « cérébrolésées », dont la conscience est altérée et qui sont donc dans l’incapacité de communiquer leurs souhaits. « Cette question est évacuée pour l’instant de la réflexion sur la fin de vie, mais il ne faut pas les oublier. C’est une réalité qui touche aujourd’hui 1 500 personnes en France et autant de familles, rappelle Élodie Buzuel. Les techniques médicales sont de plus en plus pointues et permettent de repousser les limites de la mort, mais il faut se demander si c’est toujours au bénéfice de l’humain. »

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Source: Le HuffPost