" Nous continuons à retrouver des corps ensevelis dans la boue " : dans l’est de la RDC, le bilan des inondations s’alourdit

May 10, 2023
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Le décompte macabre ne fait qu’augmenter depuis le drame, mais les cercueils arrivent encore au compte-gouttes. Les premiers ont été acheminés par le gouvernement quatre jours après qu’une gigantesque coulée de boue a rasé, presque intégralement, plusieurs villages dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Selon le dernier bilan des autorités, 401 habitants du territoire de Kalehe ont péri dans ces inondations hors normes, 411 selon la société civile locale, un regroupement d’associations citoyennes.

Sur les lieux du désastre, mardi 9 mai, une délégation gouvernementale, venue de la capitale Kinshasa et composée de trois ministres, du deuxième vice-président de l’Assemblée nationale, de députés et du gouverneur régional, a promis de soutenir les rescapés en apportant des vivres et de nouveaux cercueils. Tout un symbole alors que plusieurs personnalités politiques, dont le gynécologue Denis Mukwegue, prix Nobel de la paix en 2018, dénoncent l’absence d’inhumation et les enterrements à la hâte dans des fosses communes.

Il faut en effet faire vite. Les corps, dont certains ont été emportés jusque dans les rivières et le lac Kivu voisins, doivent être dégagés rapidement pour éviter une contamination de l’eau. D’autant que le choléra est endémique dans la zone. Des corps « qui continuent à être retrouvés à l’heure où nous parlons », indique au Monde, mardi, Delphin Kirimbi, pour certains dans un état de décomposition avancé. Le président de la société civile de Kalehe craint que le bilan ne s’alourdisse puisque « 5 255 personnes manquent encore à l’appel », détaille-t-il. Un chiffre bien supérieur à celui communiqué par les autorités qui dénombrent 201 disparus.

Nombreux sont ceux qui ont tout perdu : leur famille, leur domicile, leur bétail et leur champ. Environ 3 000 ménages sont aujourd’hui sans abri et 1 200 maisons ont été complètement détruites, selon le Bureau de la coordination humanitaire des Nations unies en RDC (OCHA). Les torrents de boue, qui ont tout emporté sur leur passage, ont surpris les habitants. Pourtant, ce genre de phénomène n’est pas étranger à la zone. Plusieurs inondations ont déjà eu lieu, notamment en 2014 où des centaines de personnes avaient également été portées disparues. Mais cette fois-ci, la pluie s’est abattue un jour de marché et l’ampleur des dégâts est sans précédent, affirment les habitants.

Pression sur les sols

Pourquoi ces catastrophes à répétition à Kahele ? Pour le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, il s’agit « d’une nouvelle illustration d’une accélération du changement climatique ». Mais en l’absence de données météorologiques ou pluviométriques fiables disponibles, plusieurs chercheurs congolais insistent sur l’activité humaine comme cause de ces drames.

La zone se distingue par ses paysages montagneux, appelés hauts plateaux, et ses pentes fortes vers l’étroite vallée qui débouche sur le lac Kivu. « Dans les années 1950, des photos aériennes prouvent que 80 % du territoire de Kalehe étaient recouverts de forêts. Aujourd’hui, il n’en reste que 5 % », détaille Jean-Claude Maki Mateso, du centre de recherche en sciences naturelles de Lwiro, dans le Sud-Kivu. La déforestation, pour le bois de chauffe ou pour libérer des espaces agricoles, accentue les risques de glissement de terrain. « Les fortes pluies entraînent donc de forts ruissellements des sommets jusqu’au bas-fond là où se situent les habitations », poursuit Rigobert Bahati Birembano, enseignant en géographie à l’Institut supérieur pédagogique de Bukavu (ISP). A cela s’ajoutent « des techniques agricoles non adaptées qui accentuent l’érosion », précise le géographe à Goma, Ciraba Honoré.

A Kalehe, la pression sur les sols est forte tant la population y est dense. D’autant que plusieurs milliers de déplacés de la province de Nord-Kivu voisine ont afflué sur le territoire fuyant l’insécurité et les combats entre l’armée congolaise et les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) ces derniers mois. « Les constructions sont totalement anarchiques et les lois qui empêchent de bâtir une maison trop proche des rivières, cours d’eau ou lacs ne sont pas respectées », ajoute le militant Delphin Kirimbi. « Oui, les responsabilités du drame sont partagées entre nous, la population, les agents de l’Etat peu scrupuleux et le gouvernement. Mais les autorités doivent prendre leurs responsabilités et relocaliser les rescapés de toute urgence. »

Source: Le Monde