Elections en Turquie : " En se revendiquant alévi, Kemal Kiliçdaroglu a brisé un tabou "

May 10, 2023
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YANN LEGENDRE

Donné favori dans les sondages pour l’élection présidentielle turque du 14 mai, Kemal Kiliçdaroglu, chef du Parti républicain du peuple (CHP), soutenu par une alliance de six partis d’opposition et le mouvement kurde, a assumé publiquement sa foi alévie : un courant hétérodoxe et moderniste de l’islam dans lequel se reconnaît un cinquième de la population turque. Politiste et spécialiste de la Turquie, Elise Massicard, autrice notamment de L’Autre Turquie (PUF, 2005), explique ce qu’est l’alévisme et les raisons de la nouvelle visibilité politique de ce courant religieux.

Pourquoi la vidéo où Kemal Kiliçdaroglu revendique sa foi alévie au sein de l’islam a-t-elle connu un tel succès, comptabilisant plus de 100 millions de vues ?

Il a brisé un tabou. Jusque-là, l’identité alévie de Kemal Kiliçdaroglu était plutôt considérée comme un argument électoral à charge, car les alévis ont une mauvaise réputation, souvent sulfureuse au sein d’une population en majorité sunnite. Ces dernières années, ils ont été largement exclus des circuits de pouvoir de l’AKP [le Parti de la justice et du développement] de Recep Tayyip [Erdogan] et des ressources qui leur sont liées. Ce « coming out » – alors que tout le monde en Turquie sait que Kemal Kiliçdaroglu est alévi – revient à revendiquer cette identité et à retourner le stigmate.

Au-delà, le dirigeant du CHP met en avant un discours de tolérance et de reconnaissance de la diversité qui est très important. Cette vidéo fait suite à une autre, récente, dans laquelle Kiliçdaroglu a critiqué les discriminations auxquelles sont confrontés les Kurdes et a promis davantage d’égalité, de tolérance et de justice.

Qu’est-ce que l’alévisme ?

Il s’agit d’un culte syncrétique et hétérodoxe qui mêle des éléments relevant de l’islam dans ses acceptions chiites – culte d’Ali [gendre du prophète Mahomet], des douze imams… –, d’autres issus de divers cultes importants dans cette région du monde (chamanisme, christianisme, zoroastrisme, manichéisme, gnosticisme) avec une forte dimension ésotérique. En outre, l’alévisme se transmet de façon héréditaire. On naît alévi. Ils disposent de dignitaires religieux spécifiques, les dede, et de cérémonies qui leur sont propres.

Pour toutes ces raisons, certains musulmans, surtout sunnites, estiment que les alévis, qui ne respectent pas ce qu’ils considèrent comme les cinq piliers de l’islam (en particulier les prières journalières, le jeûne, le pèlerinage à La Mecque), ne sont pas des musulmans ou sont déviants par rapport à l’islam. Une grande partie des alévis pratiquent peu et considèrent ce culte surtout comme une culture ou une philosophie de vie.

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Source: Le Monde