"Il faut que ce sentiment d'impunité cesse": les familles de victimes de la route réclament l'instauration d'un délit d'homicide routier

May 11, 2023
505 views

"Un gars qui vole une voiture, qui roule à vive allure, en plein Paris, qui percute un gamin à un feu rouge, comment on peut supporter ça? C'est quoi la valeur de notre enfant dans cette histoire?"

Un an après le drame, la plaie reste béante dans le cœur de Yannick Alléno.

Le 8 mai 2022, arrêté à un feu rouge sur son scooter, le fils du célèbre chef étoilé, Antoine, était mortellement fauché par un automobiliste alcoolisé qui se trouvait au volant d'une voiture volée.

Depuis, la famille du jeune homme mène un combat sans relâche. Quatre mois après cette tragédie, est née l'association Antoine Alléno, destinée à accompagner les familles endeuillées et ainsi enrayer "la solitude" qui les entoure.

"J'ai découvert un monde complètement déshumanisé, confiait alors Yannick Alléno. Comment dans une société comme la nôtre, on ne fait pas le travail nécessaire d'accompagner les victimes? À faire en sorte que ce soit plus humain?", interrogeait-il.

"Insupportable"

Invité au micro de RTL ce mardi 9 mai, le chef parisien est revenu sur ce drame, qu'il considère être "un crime", appelant de ses vœux l'instauration d'un délit d'homicide routier. Et rejetant, de fait, la notion d'"homicide involontaire", qui prévaut aujourd'hui dans le droit français.

Car pour Yannick Alléno, et toutes les familles victimes, "il est insupportable d'entendre dire que votre fils est mort de façon involontaire". Insupportable, aussi, de savoir l'auteur des faits en liberté, placé sous contrôle judiciaire dans l'attente du procès.

"Qu'aucune famille ne soit laissée de côté"

Mais le combat lié à l'instauration du délit d'homicide routier n'est pas nouveau. Actuelle présidente du Collectif Justice pour les victimes de la route, Cathy Bourgoin est sur le front depuis plus de dix ans.

Véritable battante, la mère de famille a perdu son fils, disparu tragiquement sur la route à l'âge de 22 ans. À la tête de cette association nationale, qu'elle a co-fondé en 2009, Cathy Bourgoin a deux leitmotive: "que nos enfants ne soient pas oubliés" et "qu'aucune famille ne soit laissée de côté".

"Au tout début, ce n'était pas une association mais une colère de mamans qui ne comprenaient pas que la justice n'applique pas les textes de loi existants", explique-t-elle. Aujourd'hui encore, "l'homicide involontaire n'est pas entendable pour les familles à partir du moment où il y a une ou plusieurs circonstances aggravantes".

"Que ce sentiment d'impunité cesse"

Et cela va au-delà de la sémantique, au-delà des effets d'annonce. "Derrière ce combat, se cachent des réalités: il n'est pas normal que des familles attendent des années un procès, qu'elles soient seules dans cette épreuve, et que des plaintes soient refusées. Nous avons l'impression que les valeurs se sont inversées, que les auteurs de ces faits ont plus de droits que les familles. Il faut que ce sentiment d'impunité cesse", insiste la responsable associative.

Outre les nombreuses démarches qu'elle entreprend aux côtés des familles, Cathy Bourgoin regrette "l'absence d'une vraie politique de sécurité routière".

"Nous avons rencontré la déléguée interministérielle pour en discuter. Au lieu de multiplier l'installation de radars, qui pour moi sont de véritables pompes à fric, pourquoi ne pas sensibiliser dès le plus jeune âge aux risques routiers, améliorer l'état des routes secondaires et y concentrer davantage d'effectifs policiers. Pour nous ce ne sont pas de simples éléments de langage..." Mais bel et bien le combat d'une vie.

Que dit la loi et comment l'améliorer? Paroles d'avocats... Commis par un conducteur, l'homicide involontaire est passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende. En présence d'une circonstance aggravante, la peine encourue est relevée à sept ans de prison et 100.000 euros d'amende. Du moins sur le papier car, dans les faits, ces peines maximales sont rarement prononcées. Avocat au barreau de Paris, spécialisé en droit routier, Rémy Josseaume relève par ailleurs un "paradoxe" dans la législation. "Généralement en ce qui concerne les infractions routières, le droit français ne laisse rien passer. Ceux que l'on qualifie de délinquants de la route sont soumis à un régime de répression quasi-systématique et à des règles dérogatoires de droit commun. Mais étonnamment, souligne le spécialiste, un conducteur qui ôte une vie, en étant sous l'emprise de l'alcool ou de stupéfiants, ne devra pas répondre de ses actes devant la juridiction la plus répressive, autrement dit il ne sera pas jugé devant une cour d'assises. On parle d'homicide involontaire, alors que l'on pourrait parfaitement considérer que le fait de provoquer la mort de quelqu'un avec des circonstances aggravantes, qui restent des actes volontaires, constitue une infraction criminelle."

"Dissuader davantage" "Choqué" par cette réalité, au même titre que les familles qui réclament aujourd'hui justice, maître Josseaume approuve, mais relativise néanmoins sur l'instauration d'un délit d'homicide routier. "Si c'est simplement pour changer une définition lexicale, et expurger de la loi le terme "involontaire", cela satisfera les familles des victimes mais n'agira pas sur la conscience des auteurs. Or l'objectif est aussi, et surtout, d'empêcher que tout cela recommence. Pour cela il faut dissuader davantage..." Et alourdir les peines. "Les mots ont leur importance" Pour autant, "les mots gardent leur importance pour les familles" estime pour sa part Bernard Sivan, avocat au barreau de Nice, qui regrette une certaine imprécision en la matière. Pour l'avocat, il convient de "ne pas tout mélanger". Autrement dit, "le délit d'homicide involontaire pourrait être justifié dans le cas d'un accident mortel où il n'y a ni alcool ni stupéfiants. Mais dans le cas contraire, une qualification criminelle est requise. Lorsqu'une personne boit et cause un accident mortel, ce dernier mérite d'être qualifié de crime car, même si l'intention de tuer n'est pas présente, les causes qui ont conduit au décès sont volontaires. Il y a clairement un manquement à l'obligation de prudence et de sécurité. Parler d'homicide involontaire n'a aucun sens et est difficilement entendable, qui plus est pour des familles meurtries".

Le 3 juin à Paris, une marche "pour une autre justice" Organisateur de rassemblements et de tables rondes à travers la France pour sensibiliser sur le sujet, suivi par plus de 15.000 personnes sur les réseaux, le Collectif Justice pour les victimes de la route a prévu une marche le 3 juin prochain, qui ralliera l'Assemblée nationale à la place Vendôme, à partir de 13h à Paris. Une marche sollicitée par de "très nombreuses familles", pour s'élever contre l'injustice et revendiquer notamment la création d'une infraction autonome: l'homicide routier. En parallèle, l'association lutte pour que soit instaurée une journée nationale en hommage aux victimes de la route le 16 mai. Une proposition de loi a d'ailleurs été déposée en ce sens. Pour la symbolique, mais pas uniquement. "Nous recherchons une prise de conscience, conclut Cathy Bourgoin. Et la fin de l'indifférence, à laquelle les familles endeuillées sont actuellement confrontées." Très actif, le Collectif Justice pour les victimes de la route travaille en complémentarité avec l'association nationale Victimes et avenir, dont une antenne locale vient de s'ouvrir à Mandelieu. Sous l'impulsion de Corinne Michel, une maman endeuillée par la perte de son fils, "Victimes et avenir, antenne Garry" lutte contre l'abandon des familles: "Ceux qui ont ôté la vie de nos enfants ont eu des peines de prison, parfois ridicules, mais nous nous avons pris perpète. Il est important que les familles sachent que des associations comme les nôtres existent, que nous sommes là pour les aider gratuitement, qu'elles ne sont pas seules."

Source: Nice matin