Turquie : pourquoi l’économie est un enjeu majeur de l’élection présidentielle

May 11, 2023
202 views

Affiches électorales, à Istanbul (Turquie), le 8 mai 2023. KHALIL HAMRA / AP

Candidat à sa réélection dimanche 14 mai, le président turc Recep Tayyip Erdogan a bien conscience que son économie bat de l’aile et que ce mauvais point, résultat d’une politique monétaire inepte, risque de lui faire perdre les suffrages d’une partie significative de l’électorat. « Vous n’allez tout de même pas sacrifier votre leader pour des patates et des oignons ! », a-t-il tonné à l’occasion d’un meeting de campagne, jeudi 4 mai à Giresun, dans la région de la mer Noire où il compte de nombreux partisans.

L’allusion n’était pas fortuite. L’oignon résume à lui seul le grave problème d’inflation auquel les Turcs sont confrontés. Une situation d’autant plus insoutenable que le bulbe occupe une place centrale dans la cuisine turque, indispensable à la confection des mezze (entrées) et des köfte (boulettes de viande). Or, rien qu’en 2022, son prix au kilo a été multiplié par six, avec un effet dévastateur sur le budget des ménages.

L’opposition en a fait un slogan de campagne, un hymne contre la vie chère, un cri du cœur. « Pomme de terre, oignon, au revoir Erdogan ! », scandent les partisans de Kemal Kiliçdaroglu, le chef du Parti républicain du peuple (CHP, kémaliste), le rival d’Erdogan à la présidentielle, lors des rassemblements de l’opposition. Le social-démocrate fait monter les enchères au moment où la plupart des foyers turcs connaissent la pire crise du coût de la vie depuis 2001. L’alimentation est le secteur le plus touché par l’inflation, estimée en moyenne à 44 % en avril en rythme annuel, soit le taux le plus élevé parmi les pays émergents. Un progrès a toutefois été enregistré par rapport à l’automne 2022, où elle avait atteint 85 %.

Bénéfices envolés

Inflation galopante, dévalorisation de la livre turque, déficit accru des comptes courants, fuite des investisseurs, la Turquie se retrouve dans la même tourmente qu’en 2001, soit un an avant l’arrivée au pouvoir de M. Erdogan et de son Parti de la justice et du développement (AKP). A l’époque, la situation avait été redressée par Kemal Dervis, auteur d’un vaste plan d’assainissement, que les islamo-conservateurs avaient eu l’intelligence d’appliquer.

Vingt ans plus tard, les bénéfices des réformes se sont volatilisés. Au point de mettre en péril la réélection de l’homme fort d’Ankara, qui, pour la première fois de sa fulgurante carrière politique, n’aborde pas le scrutin de dimanche en favori. La plupart des sondages le donnent perdant contre Kemal Kiliçdaroglu.

L’oignon va-t-il causer la perte d’Erdogan ? L’hypothèse n’est pas absurde, alors que la crise n’épargne pas les représentants de cette classe moyenne que lui et son parti se vantent tant d’avoir créée grâce aux taux de croissance « chinois » de l’économie, entre 2007 et 2013. Désormais paupérisée, une large partie de la population perd confiance en son président, en sa monnaie, en l’avenir du pays. « La situation est intenable, l’économie turque est comme un navire qui prend l’eau. Incompétent, l’équipage du navire pilote en mode automatique », résume Deniz Ünal, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii), spécialiste des pays émergents.

Il vous reste 44.32% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Source: Le Monde